Cendrillon

Cendrillon
« Fallen princess, CINDER », 2017, © Dina Goldstein. Avec l'aimable autorisation de l'artiste.

mardi 16 janvier 2024

La vie sans toi ma belle
M'a privé du ciel bleu
Les mots pour le décrire
Retombent tous au pied de ta petite pierre de granit

Ils sont devenus rares
Les instants sans voile

Les souffles inédits qui se prolongent
S'exténuent sans cesse
Au contact de ta jeune image
Que nulle bougie ne fait plus vaciller
Le temps s'alanguit et s'embourbe
Dans les lagunes saumâtres de l'impossible oubli
Eteignant tes braises dans l'eau de mes cendres
La mer s'est retirée d'une plage trop vaste
Et les coquillages que je glane 
Ne scandent plus qu'un rivage inaccessible.
Là-bas, les crêtes des vagues n'écument pas
Mais ressassent sans fin la pâleur de leurs échecs
Plus rien ne s'élève, tout redescend
Venant encore grever
La stèle interne qui m'ancre à la vase invisible
Des profondeurs de ta perte.

OS, Mercurol, le 16.01.24

samedi 4 février 2023

Discours de la méthode

N'être sûr de rien. Ne se fier qu'aux détails. Croire percevoir des indices. Ne jamais s'en satisfaire. Laisser la panique s'installer puis retomber.
Recommencer le lendemain. Se lever crevé. Y croire volontiers. Oublier les doutes de la veille. Y croire de nouveau. Confondre le soir et le lendemain matin, puis l'aurore et le crépuscule.
Renier la maladie. Prendre ses drogues. Être surpris d'espérer. Se laisser contaminer par la joie. Fêter l'improbable et savoir qu'on l'a déjà rendu possible. Oublier et recommencer à craindre. Exulter.
Ne pas considérer que le monde est clos et l'infini, à portée. Savoir se tenir. Courber l'échine devant la loi, les yeux derrière la tête. Sourire de façon narquoise et ne rien respecter.
Partir en aveugle, les mains dans les poches. Ne rien calculer. Se fier aux mauvaises étoiles et adorer la lune quand elle brille à moitié vide. Regarder la nuit de façon éclairée, ne concevoir le soleil qu'à la façon d'un subterfuge suprême.
Ne jamais mesurer son pouls. Risquer l'infarctus, aduler l'orgasme, le coup de soleil du feu de joie et l'amertume des cendres. Avoir les mains moites et laisser l'autre, l'aimée, souffler dessus. Lui laisser embrasser vos paumes comme si elles étaient sacrées.
Comme si vos anciennes plaies avaient connu le clou.
Ouvrir votre porte intime à ses déménageurs. Mémoriser leurs baisers. Les laisser briser gentiment vos plus belles porcelaines.
Défaire vos draps conjugaux et les mettre à suspendre aux yeux de tous. Exposer sa tache, même nouvelle. Ne pas avoir honte. Ne jamais espérer de pardon.
Continuer à vaquer à sa vie, à moitié changé. Aux trois quarts bouleversé. Attendre ou pas que le dernier quart suivra. Passer la soirée comme si rien n'avait changé, sans falsifier la façade.
Être sûr de peu. Être capable de rien ou de tout. Rater. Endurer. Pleurer d'avoir causé des ravages. Recommencer. Se passer du couteau et de l'arme à feu pour privilégier la tendresse. Sur un coup de tête, refuser de bluffer. Fermer les yeux au carrefour, brûler les feux, tailler la route.
Tailler la route et même celle de l'autre.
Foncer. Ne pas freiner et pourtant subsister. Lever la tête et adorer la lune à moitié pleine. Hurler tel un demi loup-garou ou un lionceau malade. Flatter les animaux laids, même quand c'est le vôtre, même quand c'est le sien. Aimer l'étrange et le honteux. Assumer le biscornu. Faire l'éloge du dommage corporel. Se sauver mais ne pas fuir. Être rattrapé, et régénéré.
L'abandonner à elle-même. Lui rappeler que nous serons toujours là quand nous mourrons.
Écrire une belle histoire remplie de fautes, ne jamais se contenter d'une nouvelle, incinérer sans une larme les romans interminables. Mentir pour de vrai, pour de bon.
Emprunter le chemin de l'autre. Se baigner dans ses ornières. Se rappeler le poitrail martelé du romantique et déboutonner sa chemise. Dégrafer. Tirer dessus. Défaire.
Pour refaire.
Refaire, sans répéter. Renaître sans périr. Faire de l'existence une petite éternité. Privilégier le pluriel, oublier le "Je", refuser de jouer : risquer gros. Faire tapis. Être nu et s'exposer sans plainte à la cruauté.
Brûler tous les cierges qu'on n'a pas. Adorer des idoles obscures, devenir sataniste pour mieux contourner l'enfer. Empoigner à deux mains le plateau vernis du paradis. Le descendre et l'embrasser. Se dire qu'on a décidé. Voulu. 
Cherché. Se dire qu'on a réussi presque malgré nous en dépit du bon sens,. Se taire. Cesser d'écrire. Apprécier. Fermer les paupières.
Écouter. Le bruit. Ce raffut indigne. Ce glas festif.
C'est la cloche d'airain de votre second coeur.


OS. Saint-Lager, 30.09.22.

dimanche 22 janvier 2023

Nono

Tes pieds au bord de la falaise
M'ont mis au pied du mur
Tout en bas ta dépouille brisée sur les rochers
A coupé en moi le systématisme
Qui conduisait aux chemins sûrs et verdoyants
Des vies balisées renseignées sur la carte
Désormais je longe à mon tour
Les bords crayeux battus par les rafales du nord
Me rappelant que la pire douleur est possible
Que l'amour ni l'écoute ne sont d'un grand secours
Quand l'être que les émois ont fait de nous
N'épouse pas le patron découpé par nos voeux
Tes pieds se sont avancés
À cet instant, peut-être, une mouette passait
Les ailes déployées, le bec vers le bas,
Te jetant au passage un coup d'oeil intrigué
Tu l'aurais alors entendue malgré la nuit
Rire tandis que tu tombais
Du ris innocent et doux des créatures de Dieu
Confrontées chaque jour au fléau de la gravité
Au fléau des rafales et de la vaste indifférence
Tu aurais seulement pu te promener, remonter le col de ta veste
Omettre de commettre ce léger pas de côté
Ta vie aurait repris, la mienne aurait suivi
Nous aurions de concert bravé les courants d'air
 Plongé follement dans le cambouis
Avec l'ardeur imbécile des guerriers de la vie
Nous aurions contemplé nos mains noires
Les aurions essuyées à chacun de nos anniversaires
Sur la nappe neuve dressée pour l'inventaire
Nous y aurions aussi planté tels des drapeaux nos bougies respectives
Puis les aurions rallumées d'un simple briquet
Après chaque rafale dévastatrice.
Tu as juste choisi de ne plus souffler
De te laisser porter, privé des ailes que tu méritais,
Pour célébrer à ta façon la dureté du sol où tu es né
Cette terre sans anges ni diables ni filets
Nous aurions conservé le bonnet et le cachez-nez de l'enfance
Ils nous auraient protégés
Le talisman de notre jeunesse commune
N'a pas ralenti ta chute
Et si le poids des ans a allégé la mienne
Elle ne l'empêchera pas non plus car
À chaque paysage, sa falaise
À chaque moment, son vertige
De la ligne droite que ton drame en moi a tracée
Germe une éventualité de chaque instant
J'attends de ton spectre qu'il plaide auprès de mon coeur
La thèse de l'erreur de jeunesse et du trébuchement
L'idée que le raccourci que tu as pris
Ne menait pas vraiment au même endroit
Que celui vers lequel, en boitant, je m'achemine 
Tes rochers là-bas sont à présent couverts de varech
Ton jeune sang s'est délayé
 Et si ta voix, dans la mienne, résonne encore parfois
Elle me rappelle également
Que je ne suis plus le même et que les rafales du nord
Savent, de temps à autre, s'arrêter de souffler.

Saint-Lager, le 22.01.23

samedi 21 janvier 2023

                                                                    Neglegentia diligens

Qu'importe que la Terre soit ronde.
Qu'importe que tu sois plate ou vallonnée. Que je te parcoure en vélo ou SUV. Que je découvre du pétrole dans tes fonds ou un pâle ersatz de ma propre essence. Qu'importe que je remonte une âme du noir de tes puits, qu'ils soient emplis d'or ou d'eau croupie, qu'aussitôt humé le gaz du vide m'asphyxie.
Qu'importe que je meure ou poursuive modérément ma vie, car je ne possède plus ce crochet d'or qui sert à se récupérer. Des drames ont séché et je ris, en suspens, au nez rouge des tragédies.
Mon encre s'est diluée dans l'inanité du monde, l'air me traverse, je suis transparent, sans gravité. Je n'adhère plus même à la cause du néant et quand enfin la mort me rattrapera je ne serai plus depuis longtemps que l'étiquette griffonnée à la va-vite sur l'orteil de mon cadavre.

O.S. 19.01.23.

mercredi 4 janvier 2023

A ÉTÉ

Sous une chaise, un masque est tombé
Par accident, une autre main l'a ramassé.
De l'air vicié fut respiré communément,
Symptôme précurseur de la peste à venir.

Déjà sur l'écran de petits mots germaient
Humectant les cristaux liquides d'une cyprine abstraite.
Les phrases, l'une après l'autre, soulevaient leurs jupes
Troussant le long des allusions leur vérité nue.

Rendez-vous fut pris, très vite débroussaillé par la réalité
Un présent apporta sa pauvre obole, métonymie d'un été rêvé
Mais entretemps les mots s'étaient changés en paroles :
L'épidémie, soudain, était partout, et Pan voulait son dû.

Il l'eut, porte fermée, sur une table, sur un bureau
Sous forme de fougue adolescente, aux langues tournoyantes
De respirations rauques et d'apnées mal négociées.
La qualité de l'oblation mesurant celle des sacrifiants.

Tel le porc scindé verticalement par la scie de l'abattoir
L'officiant continua, sur une jambe, à arpenter la scène du monde.
L'autre patientait déjà sur un lit inconnu,
L'intimation des draps durcissant les conditions de l'échange.

Une première échappée fut tentée un soir
Tôt rattrapée par les baisers du matin.
Ce qui n'était naguère qu'un gaz avait pris l'odeur du lien
Et une breloque au nombril, un air de piège à lapin.

Sur la rivière langoureusement s'écoula sans heurt
Le bateau mou de leurs primes amours.
Pan, conciliant, leur avait ménagé un nid
Conforme aux mensurations d'un ébat sans gestation.

La perspective des adieux rendait chaque instant crucial,
Émotion et désir allant main dans la main à leur premier bal
Convolant en d'injustes noces qui n'étaient pas les leurs.
À l'abri d'un parc un échéancier fut vite échafaudé.

Des Milan et Furiani, fut-il convenu, seraient les lieux de sa chute.
Privés de corps, les petits mots revinrent, plus petits encore.
L'écran avait rétréci et les doigts, engourdis,
Cultivaient la périphrase et l'euphémisme.

Le brasier de l'hyperbole avait vécu.
Place aux manoeuvres et aux trompettes solennelles de la morale !
N'est pas Pan qui veut, quant à Apollon...
Le rat de la conscience ne se contente pas d'un maigre biscuit.

L'air de l'été, déjà, est redevenu pur.
La saison des masques peut recommencer.
Les chaises sont en place, les futures conversations bruissent,
Sans égard pour les tombes roses qu'elles ont creusées jadis.

L'écran est éteint, peut-être un jour se rallumera-t-il,
Avides de mots à polir et à tordre en tout sens ?
Ô frénésie des miroirs où nos brèves idylles se contemplent,
Vénère la poudre d'éternité avec laquelle tu te pomponnes !

Mais n'espère pas, sur tes beaux yeux plats,
Recueillir un jour la quintessence de nos idiosyncrasies !
Car nos êtres, au dehors, sont aussi creux que toi.
Ce ballet de fantoches qu'un été tu as vus danser 
Sans ton aide n'aurait jamais existé.


Minervio, 9.08.2022. 

vendredi 30 décembre 2022

Iridescence majeure sur fragment de verre minuscule.
Le verre se morcelle, les bords s'émoussent, fondent et forment des îles, décuplant encore l'intensité concentrée sur le reflet.
C'est une irradiation glacée dont mon coeur est l'objet.
Quelle ombre se profile derrière le soleil qu'elle lève, intransigeante et impératrice, sur la glace quasi vierge de mes sentiments ?
Nous en viendrions à regretter les mornes silences de la longue nuit émotionnelle.
Nous qui souhaitions tant la déchirure de la plaie à vif, voici que la panique nous possède et nous enivre.
Nous sommes déjà saouls de ce nectar à peine tutoyé de la langue.
Le poison des vies descend en piqué tel l'aigle rose de tes membres sans sommeil.
Es-tu la fin d'un engourdissement ou la première et douce brûlure d'une nouvelle agonie ?
Il est un moment où les êtres n'ont plus de nom, où sur un humble prénom se greffent tous les coquillages de nos concrétions passées.
Où le moindre souvenir de geste s'arrache à la mémoire pour sans fin se métamorphoser en un monstre de beauté assoiffé de morsures et de drames.
Ce pays éphémère est le purgatoire où transitent en hurlant les âmes mortes avant de revenir à la vie.

Saint-Lager, le 25 juillet 2022.

mercredi 30 novembre 2022

C'est le bordel chez les anges. Le mari pleure, la femme se flagelle et les enfants paniquent. Les poubelles débordent et le chien attend depuis la veille devant sa gamelle. Les portes claquent et bruissent de murmures dont les plaintes assourdies terrorisent les tous petits. Que faire quand on ne croit plus en dieu ni aux exorcismes ?

Un silence funeste flotte chez les saisons. L'épouse s'y claquemure, la fille fuit dans les bras de Morphée que le mari, cantonné dans ses appartements, aimerait bien rejoindre lui aussi. Seulement il a un stylo, un cahier, de la peine, alors il écrit. Que faire quand on croit encore à la littérature ?

Trouvez-moi le fichu démon responsable de ce tapage ! Ramenez-le nous et remettez-lui en mains propres nos insomnies. Expliquez-lui que nous sommes humains, petits et sensibles malgré les apparences, et que nous ne tiendrons plus longtemps ainsi...

"Pardonnez cette intrusion au beau milieu de vos ruminations mélancoliques, je ne suis pas réellement cet Ennemi pour lequel on voudrait me faire passer ! Je ne conçois pas nos relations dans l'adversité. La qualité diabolique que l'on me prête est bien surannée ! Je préfère, pour tout avouer, semer le désarroi et l'immobilisme, l'anhédonie des Noël sans bougies et la morosité des dimanches. Pour la passion et toute question se rapportant à la quantité qu'on vous a insufflée, voyez avec mon binôme."

Dieu nous t'en supplions, entends notre plainte. Ne déduis rien de sa duplicité. Nous avons deux bras, deux mains, deux jambes et deux gonades mais un seul esprit pour embrasser les quatre directions cardinales que sont la CONFIANCE, la JOIE, l'ESPOIR et la SENSIBILITÉ. Par pitié délivre-nous du bal !

"Sur la tête d'Astarté, cet être-là me plaît ! Je m'en vais lui réserver une chambre où il sera au chaud et jamais à court d'idées. Je lui taillerai ses crayons moi-même et aiguiserai sa plume pour la garder légère. Je veux la voir grimper partout comme un lierre, s'immiscer dans les crevasses de leur carapace et lézarder l'édifice de la cave au grenier! Je ne crois pas au confort. Je ne suis pas l'ambassadeur suprême des sérénités, et je les adore trop pour les laisser pioncer. Ils auront tout le temps pour ça quand les vers leur attaqueront la cafetière. Pour l'heure, un double Espresso pour tout le monde ! Si besoin, j'ai encore plus fort en magasin : Valium, Tranxène et Théralène et, pourquoi pas, une corde et un pistolet !"

Dieu, Satan, il est vrai que nous avons souvent peur des feux que nous avons allumés. Nous mesurons l'acte à notre aune et minimisons à chaque fois la non proportionnalité du brasier. Nous sommes des enfants rieurs bardés d'explosifs et confondons régulièrement les adresses où déposer nos paquets. Nous sommes les irrécupérables du recyclage émotionnel, des excités du cardio, des dingos du carquois (oui, nous idolâtrons parfois Cupidon !). Accordez-nous une nuit simple et sans artifices, une nuit et une seule, et en échange, demain, nous vous promettons à tous deux que nous recommencerons à craindre, à gémir et à prier !

Saint-Lager, 16.10. 2022.

Non ce n'est pas le coeur ni un bout de cerveau. C'est un oeil. Le coeur est un oeil qui perçoit des choses à travers ses propres brumes, qui les fait surgir ou lentement paraître, puis les escamote après les avoir dotées de détails si nets et si purs que la réalité même n'aurait pu les concevoir. Cet oeil contient sa propre lumière et les choses qu'il voit ne projettent pas d'ombre ; elles rayonnent nuit et jour, parfois proches, parfois lointaines, laborieusement absentes.
C'est par cet oeil que tu m'es apparue. Vêtue et soudainement nue. Inouïe et familière. Comme si mon âme profonde avait vomi un fantôme qui s'était bêtement incarné là, devant moi. J'ai fermé la paupière, tu étais là - l'ai rouverte, tu étais là, sous des atours constamment différents, te détachant de ton propre sexe, comme coupée de ta propre histoire. Sans doute, tu n'étais plus exactement toi-même. Sans doute, tu vis se refléter sur mon regard une silhouette autre que la tienne et dont toi et moi ne connaissons ni le patronyme ni l'origine. Cet être anonyme est le bâtard le plus pur et le plus immaculé : nul ne l'a conçu, nul ne l'a engendré. Il est l'enfant de nos imperfections. Il n'a pas le souvenir du foutre, n'a pas connu de ventre et cependant, il ne peut vivre sans nous.
À mes yeux, ce bâtard est une femme. Aux tiens, un homme. Il se tient là, dans le coin de notre oeil, ne cille pas. Tant qu'il est là, il ne cille pas. S'il vient à mourir, une part non quantifiable de nos yeux respectifs s'éteindra avec lui : elle se vitrifiera, deviendra opaque, aveugle à elle-même, mendiant aux nouveaux avenirs quelque chose qu'elle ne se rappelle pas.
Pour l'heure, ton visage demeure. Il n'est pas la somme de tes traits, de tes mots, pas davantage que le parfum obsédant qui en émane ne provient intégralement d'un flacon. S'il venait à partir, je ne le retrouverai pas sur le plus séduisant des minois car la beauté que mon oeil lui trouve relève d'une éternité parallèle.
Ce visage est légèrement différent de celui que je retrouverai demain. Vivre en moi l'a déformé. A prélevé en toi quelque chose que tu ignores et ignoreras jusqu'à ta mort.
Il est merveilleux de toucher d'aussi près l'étrangeté du monde. T'embrassant, j'embrasse un nouveau genre d'inconnu : l'inconnu qui se trouvait en moi soulève d'un baiser celui que tu portais de ton côté.
Nous voudrions parfois qu'il desserre le poing et nous laisse respirer un peu, mais redoutons plus encore qu'il ne nous lâche pour de bon, tant nous craignons le néant neutre qui pourrait lui succéder ; sa prise, peut-être, gonflait aussi les poumons qu'il vidait.
Je vais désormais rejoindre les songes, mais il est un oeil qui ne se fermera pas.
Dans la nuit de mon âme vigilante, ce grand quelque chose qui te ressemble restera assise, prête à me sourire et à me chuchoter que tu existes.

Saint-Lager, 16.10.22.

samedi 12 novembre 2022

Femmes au foyer (II)

Ton tiroir à ton chevet est ton dernier jardin secret
Que tu rallumes chaque soir en éteignant ta chambrée
Contre toi ton mari ronfle, au loin tes enfants marmonnent
Tes pieds froids cherchent sous tes draps les tièdes étriers
Qu'un sursaut d'imaginaire leur tend d'un élan morne.

Dans un silence propice tu t'es mise à rêver
De lézardes, de failles et d'interstices qui débordent les tiens
La soie de ton pyjama déjà s'humecte pour le Grand Vizir
Cette tige exogène qui dans un instant peuplera ta corolle 
Et couronnera de sa coiffe ta volonté souveraine.

Il t'en reste si peu, et cet hommage rare
Tu n'entends pas le laisser passer, alors tu le sors, tu le prends
Le caresses, le lèches et l'approches encore
Du néant touffu dont l'ennui t'a creusé l'abdomen
Ta joue s'enfonce dans l'oreiller où s'étouffe ce cri

Qu'au matin de ta vie, jeune lionne, tu préférais faire retentir
La sueur de ton âme, il est vrai, était plus claire autrefois
Soeur jumelle des fontaines auxquelles buvaient les intrépides
Rarement avais-tu le temps de contempler ton reflet
Car les rides qui brouillaient ton minois perlaient de ton front

Et ces mains qui étreignaient tes épaules n'étaient pas les tiennes
Tout comme ces lèvres qui te dévoraient l'oreille
En t'arrosant de ces noms qu'aujourd'hui tu hais.
Désormais les flots en toi ne bouillonnent qu'en casserole
Emblème ergonomique du nouveau rôle que le mâle monde t'a assigné

Et dans la pénombre de la geôle qu'assidûment tu pratiques
Entourée d'objets secs réservant leurs charmes au jour bienséant
Ta nuit et ton cri s'étrécissent aux dimensions de ce terne sultan
Assez dur pour contrer la lâcheté de ta chair
Mais assez souple pour épouser les méandres du désarroi  

D'une vie si lisse qu'elle te file entre les doigts.

Saint-Lager, 12.11.22.

vendredi 11 novembre 2022

Femme au foyer
(bien que l'expression tende à disparaître)

Les cendres que tu attises restent toujours un peu froides
La routine s'est muée chez toi en rituel semi-magique
Désespoir et dévotion transformant en mystères ces missions dérisoires
Essentielles à tes sacrificateurs, si mineures à tes yeux
Le moi en toi s'est recroquevillé dans un coin de ta cervelle
Où il a forgé le noyau glacial, cet inexpugnable et opaque cristal
Que parfois l'homme et le garçonnet qu'il est resté, entr'aperçoivent 
À la fois effarés et tristes et repentants
Témoins passifs du miracle quotidien
Qui coule, fluide, des corvées que tu enchaînes
Par les maillons d'une abnégation invincible
Les yeux fous du poète et du romancier passent sur toi sans s'arrêter
Quand ceux du sociologue t'assoient sur un trône de paille
Que celles qui se sont déjà relevées rêvent de brûler.
Mais il y a longtemps que le quotidien t'a changée en chimère
Mi-femme mi-cendres, à jamais parmi les tiens solitaire,
Coeur las condamné à palpiter en cadence pour rythmer les jours de tes esclavagistes.
Ton être expire chaque soir au gré des rires des tablées que tu dresses.
Nappes et chiffons essuient chaque matin les traces de celle que tu fus,
Puis, dans un sourire étrange, et trahissant la laisse, il n'est pas rare que tu portes à ton tour
Un toast à ta mort, et au symbole anonyme dans lequel tu t'es tue.

Saint-Lager, 11.11.22.

mercredi 9 novembre 2022

Bellot du mur

Pourriture de portrait, croqué par un bon ami, tu ne me toises pas, tu regardes ailleurs et plus précisément vers cette porte comme si tu devinais qui l'avait passée pour la première et sans doute dernière fois ! 
Dimensions inédites, vaguement celles d'un poster d'adolescent ; cadre en bois léger déjà en partie ébréché (tu es tombé ah ah foutu visage de moi!). Le tableau hyper rectangulaire de ma caricature est accroché juste en face de mon nouveau lit et...
A-t-il remarqué quelque chose ? A-t-il senti, perçu quelque mouvement furtif s'approchant de l'annexe où je me tapis à l'abri de ma honte ?
Ses sourcils sont à la fois moqueurs et un peu inquiets. L'écriture est cette terne magie qui veut faire parler les murs.
Toi et moi, OTTO, avons au moins une chose en commun. Nous avons toujours regardé ailleurs. Nous n'avons JAMAIS regardé la réalité en face. Il n'est que justice que nous achevions notre marche en crabe, notre existence oblique, dans cette chambre annexe, puissamment lamentable et a-conjugale.
Toi et moi, portrait, faisons la paire ; sais-tu que, même si tu me ressembles un peu, version de moi plus accusée (nette), je n'ai aucune affection pour toi. Ah il est beau le narcissisme !
On t'a a offert à moi pour mon anniversaire, portrait veuf désemballé de frais parmi nombre d'êtres qui me sont chers (et une en particulier, qui m'a été chair et m'aura coûté ouchiouchi !) et, CEPENDANT, ta vue ne suscite en moi nostalgie ni joie. Je vais te faire une confidence, crétin hyperbolique, sosie pourri : depuis que j'ai réappris à vivre, je n'existe plus, c'est un torrent indécent. Tu veux ma définition actuelle, tu la veux hein, grossier personnage ? Plaie à vif entourée de chairs anesthésiées, guettant le signe blessant qui la refera saigner.
Nom de non, ce que j'aimerais être à ton image ! J'aimerais être fixe, comme toi circonscrit et cadré, à jamais similaire à moi-même et, quel que soit le désespoir ressenti, le regard à jamais tourné vers cette porte qui ne se rouvre pas.                                                                        
St-Lager, 12.11.22.                                                                                                                                       

lundi 24 octobre 2022

Ton parfum s'est dissipé
Dans nos oreillers
Distraitement, au cours d'une année
Jusqu'à tes pleurs ont étouffé
Et tes rires
Et tes colères ô mon ancienne aimée

Ma belle, ma noble, ma tendre épousée
Assassinée sans raison par mon coeur intermittent
Amour, je t'en prie, épargne notre souvenir
Fais de la poussière un cocon où il se lovera
Autour de ce visage que j'ai tant chéri
Je veux que tu lui donnes l'éternité des icônes
Que tu lui rendes enfin la couleur royale
Que mon impiété lui a ravie

Et ce prénom qui orne mon alliance
Ce surnom que ce même coeur lui offrit
Avant que d'en effacer toute trace
Je le veux tatouer dans le sang de ma honte
Et l'emporter dans la fosse commune
Réservée à tous ceux qui ont oublié
Le premier nom de leur amour.

Ce n'est pas le temps
Ce n'est pas le temps qui passe
Ce n'est pas le temps qui reste
C'est le gouffre rieur du puissant présent
Qui tout superpose, qui de tout
Fait cette fine lamelle de peau
Que nous foulons au pied.

À qui appartient la lumière
Que j'ai aperçue au fond de ton oubli ?
Qui scintille si gaiement
Parmi tes larmes et tes tourments ?
Appartient-elle à Dieu, au néant, à quiconque ?
D'où vient cet or nouveau qui me baigne le visage
Après l'avoir rendu aveugle à celle qui l'avait ébloui ?

Le rose dont l'amnésie teint mes vieilles joues
Ne bariolera jamais les chrysanthèmes
Que mon léger remords a jeté sur ta tombe car
Dans l'eau noire de mon âme
Tu ressurgis encore et encore, immaculée.

Saint-Lager, 24.10.2022.

jeudi 13 octobre 2022

Exorcisme, pratique magique

Ce sentier, tu l'as peut-être raté cent fois
Armée de ta boussole faite à Dacca
Cette porte était peut-être celle de votre buanderie
Et ce lit, celui qui reçut ton aïeul incontinent :
C'était bien avant l'époque où tu roupillais pendant mes boniments.

Tes grimaces de jeune gargouille mafflue
Tirant la langue dans la neige fondue
Affalée sous une luge à la trajectoire mal négociée
Repose sans doute maintenant au fond d'un tiroir rustique,
Parmi les rognures de crayon, les punaises rouillées et les élastiques.

Encore un appartement où, jeune demoiselle, tu n'habitas qu'un an
Peuplé d'inconnus dont je me fous éperdument
Encore un de tes musées de la charentaise et du santon  
Fermés pour cause de désertion.

Et c'est pour ces images stupéfiantes
Que je ne reconnais pas ce sentier mille fois pris
Qui fut le nôtre.
Que j'ignore que ce toit qui m'est vaguement familier
Est en fait celui de ton foyer.

Quel dieu clément fut soudain solidaire de mon vécu ?
Quel ange dominical a tiédi mes ardeurs,
Jeté tes disques, épargné les miens ?
Par quelle ironie puis-je encore sans pouffer
Tenir gravement la main gauche qui me les a rayés ?

À l'heure qu'il est, ma maison est sauve, tous ceux qui y vivent
Ont déjà repris la piste rituelle de l'hypermarché
Et de la foirfouille à laquelle ma folie les a menés.
Le troc radieux qui échangea mon couple
Contre ton cul est tombé en carafe. 

Rejoins ton oubli, pauvre endormie.
L'unique idée que tu conserveras de moi
Portera en son sein mille chemins faussés
Où prolifèrent les puces de toutes les chiennes qui m'ont aimé
Pour le cabot que j'étais et qu'à jamais je resterai.

Emporte avec toi tes protections légères
Dont tu as lesté mes sanitaires et grevé ma vie prospère :
C'est le dernier vestige de notre lien. Je te les laisse.
Fais t'en un bonnet, un string ou des papillotes, qu'importe :
L'ennui que tu distillais m'a guéri tout entier.

Autopastiche, Saint-Lager, 13.10.22.


mardi 11 octobre 2022

Ce sentier, tu l'as peut-être emprunté cent fois,
Accompagnée d'amis que je ne connaîtrai pas.
Cette porte était peut-être celle de ta chambre
Et ce lit, celui dans lequel on te bordait enfant
À l'époque d'or où on te régalait de contes.

Ton minois de fillette encagoulée la goutte au nez
Souriant dans la neige blanche
Trônant sur la luge des meilleurs des royaumes
Est posé, peut-être, sur un buffet pittoresque
Ou sur la porte close d'un frigo sans attrait.

Encore une maison, là-bas, qui fut la tienne,
Et où tu demeuras adolescente puis jeune fille,
Encore un musée de tes intimités,
Fermé aux étrangers dont je suis.

Et c'est pour ces images suspendues
Que je ne connais plus ce sentier cent fois pris
Qui fut le mien.
Que j'ignore que le toit qui me protège
Est encore celui de mon foyer.

Quel dieu infâme est désormais dépositaire de mon vécu ?
Quel démon a mélangé mes routes,
Pillé mes biens, dépossédé les miens ?
Par quelle ironie puis-je encore un instant
Caresser la main douce qui me les ravit ?

À présent ma maison et tous ceux qui y vivent
Prennent déjà le chemin du mausolée
Et de la tombe que ma folie leur a creusée.
Le troc odieux qui échangea tout mon passé
Contre ton présent leur sert déjà d'épitaphe.

Dors dans l'oubli, belle endormie.
L'unique idée que tu conserveras de moi
Portera en son sein mille chemins abandonnés
Où prolifèrent les ronces de ceux qui m'ont aimé
Pour celui que j'étais et que plus jamais ne serai.

Emporte dans tes songes la chimère légère
Que tu as fait de ma vie déracinée, omise :
C'est le dernier vestige de notre lien. Je te le laisse.
Fais t'en un lacet, un collier ou une corde, qu'importe :
L'amnésie que tu distillais m'a blanchi tout entier.


OS. Saint-Lager, 10.10.22

dimanche 9 octobre 2022

Dans nos regards inversés,
Coule le torrent silencieux d'affluents différents
Charriant débris d'histoires et deuils insoupçonnés
Boues lourdes et limons agissants.

"Vers quelle mer ce long échange d'espèces
Fuyantes et visqueuses, lapins, carpes et brochets,
Têtards, prédateurs, coagulant dans la laisse,
Envisagera donc de se porter ?"

Le flux seul compte, mon onde adorée,
Vois nos anciens corps gisant là-bas sur la berge
De nos existences asséchées, telles les mues désertées
Par l'élan qui nous mène et toujours converge.

Pour qui subsistent les traits subtils de nos passés ?
Ces rides superficielles d'un temps réinitialisé,
Ces carillons sourds d'antiques horloges cassées,
Noyées, toutes, dans le brasier bleu de notre actualité.

Quelle que soit la nage choisie, le torrent inédit
Possède la fougue imbécile des enfants non sevrés :
S'étendre, bourdonne-t-il, fermer l'oeil, rouvrir les branchies,
Descendre chez Neptune, fuir la trop noble odyssée.

Saluer l'oxygène, celui de ces vies que nous avions tant respirées
Récréer ensemble un azote, peupler l'eau de nos petites bulles
Redevenir hippocampes sans poids, anguilles, poulpes ou raies
Porter un toast fluide au cimetière de pendules.

Sonder, du ventre effleurer les fonds, puis s'égarer au large,
Notre surface et notre abysse fondues soudain en un seul baiser
À contre-courant, le temps remonté redevient sauvage,
Ton visage, une brasse où tes yeux sont mes yeux échangés.


Saint-Lager, 8.10.2022.

lundi 3 octobre 2022

Roman
I

On n'est pas sérieux quand on a cinquante ans.
- Un beau soir, loin des rites et de la promenade,
Des foyers apaisés au luxe rassurant !
- On part sous les aulnes noirs de la débandade.

Les aulnes sentent fort dans les soirs de juillet !
L'air est parfois si chaud, qu'on snobe la chaumière ;
Le foehn si chargé de bruits - le vice est tout près -
Prend des relents de guigne et d'échos mortifères...

II

- Voilà qu'on envisage un tout joli chiffon
De rouge, surplombé d'une petite mèche,
Lesté d'une rose qui tortille du con
Paré de doux frissons, pour qu'on hume et qu'on lèche...

Nuit de juillet ! Demi-siècle ! - On se laisse jeuner.
Sa sève est un tord-boyau qui prend à la gorge...
On délire ; on se sent dans l'esprit un acier
Qui fume et rougeoie là, comme arraché aux forges !

III

Le coeur fou bovaryse à travers des romans,
- Lorsque, dans l'obscurité d'un innocent lycée,
S'allonge cette dame aux désespoirs charmants,
Sous les auspices spécieux d'un mariage âgé...

Et, comme elle vous a trouvé superbement sage, 
Tout en faisant cliqueter ses ongles nacrés
Elle sourit, se tourne et vous ouvre son corsage...
- À votre doigt s'éteint alors l'anneau sacré...

IV

Vous êtes langoureux. Ranimé jusqu'au mois d'août.
Vous êtes langoureux - vos pastiches la font rire.
Vos amis tiquent, vous ne valez plus un clou.
- Puis l'adorée, un jour, daigne vous convertir... !

- Cette année-là... - on vous revoit dans un foyer
Au luxe rassurant, aux vertes promenades...
- On n'est pas sérieux, passé cinquante étés,
Lorsqu'on aime l'aulne noir de la débandade.


"Pastiche IV", OS, Saint-Lager, 3.10.22.

mardi 27 septembre 2022

Le pèse-personne

Tous les hommes sont du salami. Les baigneurs qui sortent des vagues pour sauver un noyé ou une otarie sont du salami. Tous les constructeurs de châteaux de sable sont des salamis, et spécialement ceux d'aujourd'hui.
Tous ceux qui savent comment se diriger vers la mer, qui plantent leurs petits drapeaux, tous les maîtres-nageurs, ceux pour qui nager revêt un sens, tous ceux pour qui les courants ont un sens, tous ceux pour qui l'écume n'est pas qu'une quantité de salive, sont des salamis, je pense à leurs maillots étanches et à ce grincement de bouées que produisent leur sang et leur gras - de salami.
Ceux pour qui certains sables ont un poids, et certaines manières de bouger, ceux qui manifestent une certaine maîtrise dans l'art de suinter, ceux pour qui les sentiments, en toute saison, possèdent un hiver et un été, et qui discutent du temps à l'orée des marées, ceux qui croient encore aux vacances, aux congés et aux calendriers, et qui en profitent pour formuler des certitudes intermittentes, ceux qui croient encore que la longitude a un sens, que la tempête va venir d'ici et partir par là-bas, qui agitent des mouchoirs pour dire adieu et des serviettes pour évacuer le temps
- ceux-là sont les pires salamis.
- Vous êtes bien frileux, jeune homme !
Non, je pense aux gypaètes barbus.
Et je vous le dis : pas de plages, pas de secouristes, pas de grain.
Rien.
Sinon un pèse-personne.

"Pastiche III", Saint-Lager, 27.08.2022.

vendredi 16 septembre 2022


Demain dès l'aube, aux heures où faiblit la castagne
Je m'enfuirai. Vois-tu, je sais qu'elle m'attend.
Je sens qu'elle m'a humé, cette Dame sans poigne.
Son appel, je ne veux l'ignorer plus longtemps.

Je roulerai lentement, l'oeil écarquillé
Sans oublier mes torts, sans renier mes délits
Veule, inconsolé, le dos raide, les mains crispées
Sourd, et ce volant pour moi sera comme un cri.

Je n'esquiverai ni l'huile des pluies en trombe
Ni les sirènes au loin remontant vers Calais
Et quand j'arriverai, j'enverrai sur ma tombe
Une gerbe de verre et d'os sur la glissière
Pliée.


Pastiche II, Saint-Lager, 27.08.2022.

Vénus analysée

Comme d'une conque de soie zébrée, une tête
D'ondine aux cheveux platine, très poitrinée
D'un gros jacuzzi émerge, joliment faite
Portant maints tatouages assez mal torchés.

Puis ce cou rose et grêle, aux frêles omoplates
Qui saillent, le ventre creux qui rentre et ressort
Puis les rondeurs des seins semblent perdre leur jatte
Le titane du piercing pouffer : "Roquefort!"

Le derme est un peu rouge, et le tout prend un goût
Plus triste étrangement ; on remarque surtout
Des énormités qu'il faut lire sur la poupe...

Le cul porte trois mots rasés : gloire à JANUS
- Et tout cet être tremble et tend l'étroite croupe
Laide iniquement du souvenir de Vénus.


Pastiche I, Saint-Lager, 27.08.2022

samedi 14 mai 2022

Un hommage à Pierre ASTIER, fondateur du Serpent à Plumes, aujourd'hui agent, plus vivant que jamais et à peine déplumé. N'hésite pas à lire des manuscrits inconnus. Rappelle quand un auteur a donné son mauvais numéro de téléphone. A publié discrètement quelques géants, John Cheever, John Barth, Margareth Atwood, Rikki Ducornet, Martin Amis, Lydia Lunch, Nick Cave et Toby Olson, et j'en passe, surtout d'Afrique, avant tout le monde ou presque. N'a pas de page wiki et n'est pas de la même famille qu'Alexandre, mon voisin. Un défaut : n'a pas inventé Asterix. Une qualité : aime Nabokov.

Pierre Astier, mai 2018, festival HeadRead de Tallinn en Estonie. © Dmidri Kotjuh. 

samedi 25 septembre 2021

CRITIQUE

Crédit : Itar-Tass

"LA MAISON
DANS LAQUELLE" 

de Mariam Petrosyan

La Maison dans laquelle de Mariam Petrosyan est un grand livre. Grand également au sens de spacieux. C'est un livre sur le potentiel d'expansion géographique de l'esprit des enfants - d'ailleurs l'éditeur s'appelle Monsieur Toussaint Louverture, et ce n'est pas la première fois qu'il nous offre des oeuvres si étendues, où nos imaginaires peuvent s'ébattre sans craindre d'être à l'étroit. Nous pourrions aisément compléter le titre : La Maison dans laquelle plusieurs bandes d'enfants et d'adolescent(e)s s'inventent des carapaces imaginaires - et pourtant efficientes - pour combler leurs handicaps et sublimer l'existence d'un orphelinat russe au tournant de ce siècle (la décade n'est pas précisée). 

De toute manière, il n'y a pas de Temps dans La Maison dans laquelle... : Tabaqui, un des gamins en fauteuil, abhorre les horloges, hait les montres, conchie les pendules. Il porte sur lui plusieurs couches de vêtements (de protection contre le réel) et des talismans (de protection contre le...) faits maison. C'est, en quelque sorte, l'historiographe officieux de cette jungle sociale fascinante, dont il tient le grand Livre. Son surnom, il l'a emprunté au fameux "Chacal' (son autre surnom) complice de Shere Khan dans le recueil de Rudyard Kipling, tout comme la bande de son ami Larry celui des "Bandar-Log", le Peuple Singe qui avait kidnappé Mowgli. 

Leur nouveau camarade de chambrée, appelé Fumeur, en fauteuil lui aussi, fume et s'est fait mettre au ban par sa bande originelle, les Faisants (les Fayots ?) parce qu'il portait des baskets rouges et aurait ainsi essayé, prétendent-ils, de se démarquer. Or tout le monde, que les Faisants le veuillent ou non, se démarque dans cette jungle pour enfants pourtant sans noms ni lignées, ni corps entier. La première chose que vous devrez faire, si vous voulez y rentrer à votre tour, c'est de les laisser vous donner un surnom. Par exemple: "Lecteur-Agile". 

Dans la Maison, Lecteur-Agile, tu serais probablement environné de Livres-Briques avec lesquels tu édifierais tes Remparts multicolores (de protection contre le...), de Livres-Racines et de Livres-non-Sterling. Il serait d'ailleurs conseillé que tu te fasses auparavant adouber par l'Aveugle, dont la cécité n'interdit par la clairvoyance, et que d'aucuns soupçonnent d'avoir déjà tué (pour de vrai). Tu ferais alors la connaissance de Loup, Sphinx, Gros Lard, Roux, Beauté, Noiraud, Vautour et de dizaines d'autres ; et de filles aussi, tantôt furies tantôt âmes soeurs... Tu tâterais de surcroît d'une nouvelle absinthe : celle d'un monde à la magie addictive, où l'invention et le désespoir sont assez puissants pour infléchir la réalité et, parfois, la mettre à genoux. Une chose est sûre : comme la plupart d'entre eux, le moment venu, tu n'auras pas très envie de sortir de La Maison*. Non que tu apprécies particulièrement le bâtiment en lui-même : sa cantine délabrée, sa cave de tous les dangers, son club enfumé au café abject, ses chambres vétustes où vous êtes tous empilés en lits superposés, son toit glissant (même pour toi), son grenier presque inaccessible... 

Dans cette Maison, Lecteur-Agile, sache tout compte fait que ce ne sont pas les murs qui importent, ni le volume des pièces, ni même la qualité de son oxygène, ce sont les âmes charnues qui y vivent, y renaissent ou y meurent. Si le titre du roman est ainsi en suspens, c'est qu'il reviendra à ton esprit d'enfant de l'abonder avant de t'y abreuver jusqu'à plus soif, comme à une noire fontaine de Jouvence. 

O.S.

* Sauf à laisser un graffiti de ton invention sur un de ses murs, sorte de tatouage par procuration qui résume un peu ton histoire ou ton état d'esprit actuel.

mercredi 15 septembre 2021

AVÈNEMENT D'UN NOUVEAU RÈGNE


Et s'il y avait autre chose que nous, parmi nous. Pas un spectre, pas un dieu mais juste quelque chose, là, tout près, toujours à côté. Quelque chose qui ferait écran, qui séparerait, diviserait. Pas une projection de nos angoisses, non, quelque chose extra-humaine mais bien terrestre. Si ce n'étaient pas certaines de nos demeures mais tout le Globe qui était hanté. Nous n'emploierions pas le mot "esprit", trop connoté et immatériel : parce que cette chose serait concrète, bien qu'invisible. Atomique bien qu'inobservable même par Titan Krios. Nous la ressentirions parfois, éprouverions son souffle étrange et impérieux au détour d'une expérience particulière, nous en devinerions alors sa structure, sa colonne. Son aXe. Nous pourrions l'appeler précisément "expérience intempestive de ce qui n'est pas nous (ni les autres)", "expérience de ce qui est en dehors et pourtant partout quelque part autour". Une sorte de matière noire pénible que nous ne pourrions définir que par défaut, énergie difficilement quantifiable à même de modifier les forces qui nous agitent, de décaler de façon subtile nos centres de gravité. Une omniprésence qui tirerait sa toute puissance de notre incapacité à la nommer, à la penser ; qui , sans doute, esquisserait à peine un "chuchotis" en nous voyant postuler de la sorte sa scandaleuse existence. Un murmure radicalement autre. Car cette chose existerait. Peut-être même nous unirait-elle à notre Terre, en bien comme en mal, faisant de nous ses antennes passives, les victimes inconscientes de son vaste "caprice permanent". Si parfois l'ombre, la silhouette en creux de cette chose se profilaient dans nos écrits, nos pensées, nos décisions et nos gestes ; si elle se mirait de façon élusive dans ce que nous créons comme dans ce que nous ne parvenons pas à créer ; dans nos impuissances comme dans nos éclairs de pertinence. Si cette chose, tantôt énergie, tantôt anti-énergie, nous empêchait, à des instants cruciaux, d'être juste nous-mêmes : surgissait en tant qu'Extra-nous ou Non-nous, dans nos plis les plus intimes, amoureux, amicaux (et nous la sentons, et les autres aussi la sentent sur nous). Et s'il fallait patiemment lui présenter ce modeste autel : un espace vierge, blanc, pour qu'elle se manifeste. Si cette chose autre n'était pas interrogation, mais à l'inverse Assertion initiale, non-Question dont nous ne serions que les excroissances et les conformations. Imaginons-la lovée dans nos esprits, nos nerfs et nos muscles telle une chimère atemporelle, innervant nos rêves et nos velléités mais, surtout, imaginons-là partout, et parfois là plus qu'ailleurs, nous empêchant de pleinement concevoir notre fonction, la place exacte que nous occupons dans cet univers, et celle qu'elle occuperait dans le nôtre. Elle se nourrirait peut-être de nos clichés, de nos défauts et tics de pensées, se glisserait dans nos failles logiques, serait tapis au fond de nos résidus de réflexions avortées, socle invisible à nos contradictions, aux adynata grotesques que nous arrache notre délicat rapport au monde ; en elle résiderait le secret millénaire de nos imperfections et de l'absurde réitération de nos erreurs historiques, et, peut-être, l'explication de cette tristesse réflexe de nous croire imparfaits dans ce paradigme humanoïde qu'elle aurait façonné et restreint de ses propres mains. Nous serions tantôt ses limites, elle serait la nôtre. Nous évoluerions à l'intérieur de son cadre, jamais en dehors. Bien sûr, comme tout coin aveugle, la décrire de façon fluide et nette (non lovecraftienne) serait impossible ; nous ne pourrions réellement la concevoir avec clarté et encore moins l'observer (nous ne sommes pas nés pour faire cela). Et pourtant, nous la humons quelquefois, çà, là, ici ! en-deçà ! dessous ou dessus nous... à l'occasion d'une situation incongrue ou d'un texte inepte, comme les chiens reniflent la main tantôt bienveillante tantôt sanguinolente de leur Maître.   

Mais, de toute évidence, nous ne serions pas nés pour faire cela.

O.S.

dimanche 5 septembre 2021

 NOUVELLE

Juste au bord (stand-up) aka faisons la nique aux algorithmes !!!

Hier il faisait beau et j’ai emmené en voiture trois éditeurs différents. Notre but avoué était : trouver de la littérature. Ils ont cherché dans les taillis. Ils ont soulevé les pierres, secoué la canopée, regardé sous mon capot. Sur le chemin du retour, l’un a dit : « C’est l’époque qui veut ça. » 

L’autre : « Nous sommes tous des reflets ». Le troisième : « À partir de maintenant je préférerais être appelée éditeuse plutôt qu’éditrice, dont acte. »

Un chien avait deux queues, l’une à l’endroit attendu, l’autre sur le front. Ses maîtres en ont donc fait un spectacle. L’attraction coûtait dix unités de monnaie volatile. Il y avait du monde autour, pour la lui voir remuer. La moitié disait que c’était un coup monté ; que la première queue était collée. L’autre que c’était sûrement l’effet cocktail boomerang de perturbateurs endocriniens et de certains composants aromatiques. Une troisième moitié, malgré sa soif, voulait porter plainte contre maltraitance. Personne ne contemplait ce spectacle inouï.

Un poète avait pris l’habitude de se servir de mots comme d’une perche pour battre des records de sauts dans le vide que lui seul savait apprécier à leur juste hauteur. Ce qui lui pose le plus de difficultés, c’est de savoir où exactement fixer la barre. Ensuite, il fallait surveiller que, pendant son saut, aucun membre du public ne s’amusât à déplacer le matelas, auquel cas il aurait tôt fait de plonger tête la première dans l’allégorie. Fâcheuse lubie, particulièrement désuète.

Mais comment accorder du crédit à une espèce animale passant près de la moitié de son existence à dormir, mal qui plus est, et accomplissant la plupart de ses gestes dans un état de semi-songe ?

Un couple de jeunes naufragés en haillons débarqua sur une île, encerclé de requins. Les requins ne nageaient pas autour mais y marchaient sur leur nageoire caudale, sautillaient en conversant à voix basse, tout en jetant régulièrement des coups d’œil réprobateurs à ce couple exotique que l’aléa avait réuni. On peinait à entendre ce qui se murmurait parmi les squales et, pourtant, bizarrement, tout le monde ici savait très bien à quoi s’en tenir.

Un soir, quelqu’un ou quelque chose trouva le Parfait Algorithme (PA). Il modélisait le rythme des algues auquel la vérité, après avoir afflué et reflué, venait se réfugier sous les coraux.

Un enfant regardait l’homme. Un homme regardait l’enfant. Méfiez-vous des homonymes.

La première publicité efficace pour les palmiers fut de fait inventée au Bangladesh. Les palmes se révélèrent plus solides qu’on ne l’aurait pensé. Que palmes, troncs, et noix de cocos fussent assemblés ailleurs ne changeait rien à l’affaire. Il faut toujours que certains mégotent, quand on parle d’exotisme.

L’autre jour, un ami me disait qu’une bonne émission de littérature doit à tout prix éviter d’en parler, question d'élégance. Mais il n’a jamais voulu me dire de quoi : parler de quoi bon dieu ? Depuis, nous sommes fâchés à mort, comme ces singes kenyans aux testicules turquoise qui ne peuvent savourer leur fruit à coque qu'après nous avoir tourné le dos.

En safari, un conseil : ne collez PAS le véhicule devant vous! Au cas où l’éléphant charge il faut que l'auto vous précédant puisse reculer. Inutile de regarder dans votre rétroviseur avant d’enclencher la marche arrière. La piste de ce qu’il y a derrière sera toujours plus longue que celle qu’il y a devant. C’est une règle africaine qui trouve beaucoup d’échos chez les occidentaux. Mot de passe : nostalgie.

Un certain Pascal Desjardins aurait inventé la calculette. Depuis l’avènement des supercalculateurs, son buste gémit, solitaire et tronqué, dans les couloirs marbrés de noir d’un grand musée dédié aux anciens arts contemporains.

Aujourd’hui une jeune femme peut très facilement être facile au sein de certaines catégories socio-professionnelles aisées ; c’est pour les hommes qui échouent, que c’est devenu difficile. On se range trop promptement du côté des perdants.

Que vaut une œuvre exposée ? Cela dépend de ce qu’y voit le client. Si la climatisation de la salle roucoule un peu trop, tout s’effondre, tout est à refaire.

J’ai déjà vu ce visage. C’est un composé de trois visages que je connais. J’envisage de confier l’affaire à celui qui le porte. Il doit être averti de toute urgence. Se démarquer absolument de ses modèles. Il serait dommage, pour lui, de passer à côté d’une vie originale.

J’ai inventé un nouveau mot : miel-ancolie. C’est plus gai. On dirait un bonbon aromatisé à la vie ! Déjà écoeurant, cependant.

Personne, je vous dis, n’aimerait être à la place de Claire Chazal ! Personne n’aimerait être au volant de sa BMW bleue quand elle se gare ! Personne n’aimerait pousser son chariot à roulettes brinquebalant dans les rayons d’un supermarché réservé aux petites tailles ! Personne n’aimerait l’essuyer à sa place lors d’une rafale de gastro-entérite ! Personne, je dis bien personne, n’aimerait se promener librement dans ses intestins. Personne ne veut vraiment la connaître ou avoir l’amabilité d'aller ramener son caddie à la place qui était la sienne. Personne ne voudrait élever ses enfants inconnus. Il n’y a pas de place. D’où je suis je n’aperçois aucun parking ; juste une grande étendue vierge de toute connaissance, sans cases ni jetons à rapporter. Nous ne connaissons personne. Dans le charriot, tous les produits se sont gâtés.

Lucien devint résistant après avoir détourné un convoi nazi transportant des noix de coco. Les faits : il plante dans la nuit les coques les plus pourries du convoi ferroviaire sur les herses particulièrement aiguisées d’un Reichskommissariat. L’odeur est insoutenable. Il fuit quand un coup de sifflet retentit. Un mois plus tard, il fait sauter son premier pont au nez d’un blindé. Le jour, il officie dans la défense passive. Il démine les caves d’immeuble ont sont tombés, sans exploser, des obus en forme de suppositoires. C’est ce qu’il dit en riant à son collègue démineur, le meilleur artificier de toute la zone d’occupation nord. Il faut à tout prix plaisanter. Mais il sait, au fond de lui-même, qu’il a quelque chose contre tout ce qui est oblong. Une nuit d’embuscade il déraille ; il introduit de force une balle de Luger P08 dans le conduit rectal d’un officier S-S à moitié mort. Un camarade le voit faire, mais ne dit rien. Il sait que c’est là qu’est la guerre, à l’intérieur de nous-même. Le jour de la Libération, Lucien refuse la croix de guerre à cause de son geste inexplicable. La figure de ce planqué de préfet lui donne de surcroît des envies malsaines. Il est finalement bien content de retourner à la vie civile. Peut-être en février ira-t-il à Rio, pour le carnaval. Mais par pitié, ne lui parlez pas de goudron et des plumes.

Un vieux chat édenté avait fini par domestiquer un rat. Il avait réussi à le convaincre qu’il ne lui ferait aucun mal et le promenait souvent place des Tilleuls, la nuit, quand tous les êtres humains dormaient, bercés par leurs certitudes.

Je lui dis : écoute Paul, je n’écrirai pas ce roman. Il ne me concerne pas. Vas-y, si ça te tente, mais pour moi, c’est niet, désormais je préfère les miettes. Tu comprends un roman c’est un loukoum et l’âge m'a rendu diabétique. Il faut que je surveille ma glycémie, Paul. Ma plume a cristallisé à force d’être trempé dans du sucre. On ne voit même plus quand j’écris. Ça laisse des traces blanches, on dirait du sel alors que je t’assure, je ne ressens plus rien. Même mes personnages font grève. Même toi tu planques un panneau derrière ton dos, tu ne comprends rien à ce que je raconte, tu ne sais pas où te mettre, tu es là, les bras ballants, à attendre une instruction qui ne vient pas. Franchement, Paul ?

À ce titre, M. Sollers est probablement une berline de luxe restée trop longtemps au garage. Quand Roland a voulu la redémarrer, rien ne s’est produit. Un peu de fumée s’est échappé d’un porte-pot d’échappement, et ce gaz mal odorant était bien la seule chose à s’être fait la malle.

Quand hier soir Lucia est venue frapper à ma porte, j’ai fait semblant de ne pas voir que ses collants étaient déchirés. Elle était en larmes, comme la fois précédente. Je lui ai dit de s’asseoir, de boire un thé à la mauve, de tout reprendre à zéro. Mais elle n’a pas bien compris et m’a redit l’histoire que je connaissais déjà. Ce type est un connard. Un enfoiré qui n’en voulait qu’à son cul et moi, en sirotant mon verre de vin, je regardai les marbrures de sa peau à travers le lacis triste de viscose et d’élasthanne.

Coriacité du poil revêche.

C’est très bizarre, quand on y pense, ce Umlaut dont certains groupes de metal (ancien nom : hard röck) coiffent certaines lettres de leur nom. Ça coupe la fluidité de la diction, vous donne un petit côté guerrier, quasi teutonique à l’ensemble. C’est bien trouvé, finalement, cette touche subtile de sidérurgie. On imagine déjà les étincelles jaillissant de la chaîne d’assemblage. Le hurlement des meules. On se croirait quelque part dans la Ruhr, à jouer de la flûte pour des enfants d’usine. On est tout environné d’éclairs, de champs électriques ; on se baignera nu et sans fers, cette nuit, dans la rivière, et le silence de la lune fera rougir de honte les rossignols mécaniques.

Ce qu’il y a de bien, avec les physiciens, c’est qu’ils mesurent même la fournaise du soleil.
On dit que la balle a percuté son thorax à 380 mètres par seconde mais on ne précise jamais la dose exacte de sang perdu par cet ancien vivant, en centilitres, ni la vitesse réelle à laquelle sa vie l'a quitté. Inconstance des chiffres, partialité des opinions.

En matière de littérature, il est très simple de déceler le manque d’inspiration. Confronté à une page devenue quasi translucide, l’auteur s’invente soudain des personnages écrivains et des histoires de pannes de moteur ou de stérilité, comme si on l'avait inscrit pendant la nuit à une antenne locale du CECOS. Il se met à citer sans cesse. Sa parole, soudain, ne lui appartient plus. Et pourtant. Pourtant il suffirait qu’il s’imamoravagine que ce n’est pas un miroir qu’est devenue sa bonne vieille page, mais que le blanc du Vide Total et Absolu de Tout Ce Qui N’a Pas Encore Été Formulé lui est rentré sauvagement par le blanc des orbites, comme disait Fridruche Nietzche à force de contempler l’abîme.

L’incident est survenu vers 2 heures 18 du matin, sur l’autoroute A7. Un poids lourd appartenant à la société Desjoyaux a pilé et un énorme gorille a jailli du hayon, pour aller entourer de ses biceps amoureux la voiture suivante qui tentait désespérément de faire un écart pour l’éviter (on vous l'avait dit, de ne pas trop la coller, plus personne ne respecte les règles du safari). Il l’a broyée en quelques secondes, mêlant chair et tôle ensemble. Le gorille homicide n’a pas encore été récupéré mais selon un témoin, blotti sur le terre-plein en attendant les secours, le bestiau faisait bien trois mètres de haut. On sous-estime trop souvent la force d’une bête sauvage, a déploré un officier de gendarmerie en se tournant pour tendre le doigt : il y avait pourtant un panneau.

J’étais dans la cage, me tenant aux barreaux, avec cet aileron blanc et massif qui approchait à toute allure. Le gros noir à bord me criait « Down, Down ! » pour que je plonge et regarde Cristobald dans les yeux (de nounours). Mais l'océan au large de Gansbaai était agitée et je ne voyais rien, ni yeux ni gueule ni dents ni gencives ni rien. J’étais si anesthésié par ce que je ne distinguais pas que je crus que j’avais laissé traîner mon bras à l’extérieur, que je l’avais perdu, que Cristobald le juvénile l’avait emporté en passant comme on cueille une mûre à un fouillis de vieilles ronces. C’est ce matin-là, sous les cris et les petits écrans des caméscopes, que j’ai réalisé à quel point l’eau était froide, épais les barreaux, profond mon désespoir, en face de la supériorité mécanique de la vie marine.

Que fait un plongeur ? Il plonge. Que fait un flic ? Il plonge. Que fait un diamantaire qui passe en douce ses gemmes à la frontière ? Il plonge. Tous plongent, en permanence. Avec plus ou moins de bruit et de dextérité, produisant de plus ou moins spectaculaires éclaboussures. Qui reste alors pour les mesurer, en surface ? Le physicien ? Le poète ? Le romancier n’a pas encore inventé sa première phrase qu’elle est redevenue étale. Une bonne question, ça : qui mesure, en fin de compte ?

Mallarmé voyait à travers les pages. Baudelaire époussetait chaque poussière de corps sur la couverture d’un livre. Faulkner l’inspectait sous toutes les coutures avant de le balancer par la fenêtre en espérant qu’il tombât sur la tête d’un personnage historique. Certains, comme Artaud, s’en faisait des chapeaux et déféquait à l'intérieur, sans trop y croire. Céline, mégot au coin des lèvres, les regardait faire en tripotant le bouton de sa gabardine. Sartre et Beauvoir, côté jardin, discutaient sur des chaises longues, sans prêter foi à ce que leur racontaient Camus et Malraux. À genoux dans l’herbe, Beckett cherchait la petite bête avec une loupe cassée. Rabelais et Scarron se lançaient en hurlant des bouses dans le pré d'à côté. L’une frôla l’épaule de Cervantès, à dada sur sa balancelle. Proust, élégant, immobile, leva les yeux au ciel. Dehors, garés dans la rue dans une vieille Ford toute déglinguée, Thomas Pynchon et David Foster Wallace patientaient en écoutant d’une oreille religieuse la pop sirupeuse déborder de l’autoradio. Sur la banquette arrière, les corps de Ken Kesey et Jack Kerouac gisaient dans une flaque de sang et de vomi. Plus loin, au carrefour, un dénommé Alan Moore, déguisé en gendarme des mystères, faisait la circulation et régentait le trafic des esprits à coup de baguette magique. Les âmes olympiennes de Browning et de William Blake s’entrecroisèrent juste sous son nez, faisant frémir les poils hispides de sa barbe, puis disparurent. En embuscade, les lunettes de travers, William Tanner Vollmann, qui avait assisté à la scène, prenait des notes en reniflant, flanqué d’une bande de potes sous sédation parmi lesquels figuraient Denis Johnson et le golfeur Toby Olson. Une créature borgne qui avait pour nom Jim Harrisson tenta de les arracher à leur stupeur : il leur vanta un troquet fameux donnant sur une rivière, celle-là même où Brautigan avait pêché ses truites et Hunter Thompson son grand requin hilare. Assis sur une branche, ses plantes de pieds nus ridant joyeusement l’onde, Tom Robbins roulait une cigarette rose tandis qu’un grand échalas habillé en moine sciait la base du tronc après en avoir calculé de tête la circonférence. Vu qu’il s’agissait de Richard Powers, nul ne risquait rien : c’était un humaniste. De toute façon, l’eau, à cet endroit, était peu profonde – le vieux lieutenant Gracq en avait maintes fois arpenté les rivages, avec le fil à plomb lacunaire que lui avait légué Kafka, autre expert en labyrinthe lacustre. Attiré par sa rumeur cristalline, Jorge Luis Borges s’approcha et, du bout de sa canne, constata que ce n’était pas totalement le même homme que lui renvoyait son reflet. À moins qu'il ne soit trompé de rivière. Au loin, planqué derrière les buissons, un garçon grassouillet et fortuné appelé King, coiffé d’une couronne de sucre candi, épiait ces gentlemen en attendant qu’un monstre sacré surgît pour les dévorer. Mais ce qu’un enquêteur à l'imper fatigué, baptisé Bolano, aurait pu lui dire, si on avait osé le lui demander, c’est que le monstre à son tour avait été enterré, tels les 2666 cadavres mal fardés peuplant les sables de Sonora. C’était cette terre, non la rivière, le vrai souci. Le spectre athée de l'ermite de Providence s’était jadis désolé que le sol, sous ces latitudes, était si profond que même les Grands Anciens n’auraient pu en être exhumés. La folie de l’oubli soufflait sur la plaine, écorchant les derniers noms, emportant tous les mythes, créant chaque jour des ornières plus indéchiffrables que les arabesques de Finnegans Wake.

Bref la voiture avec à l’intérieur les éditeurs et l’éditeuse, Mme Dontacte, refusait d’avancer. Ils se plaignaient qu’ils avaient faim mais refusaient de sortir pousser, à cause de la boue car ils n’avaient jamais lu Rabelais ni Scarron et n'aimaient guère être crottés pour si peu. Alors j’ai entrepris de leur raconter une histoire vraie à base de squales. Ils ont prêté l’oreille, croyant que je plaisantais, ou, pire, que ça leur rappelait quelque chose qu’ils avaient lu quelque part. C’est le fameux phénomène du déjà lu, acouphène fréquent au sein de leur corporation. Au lieu de lui dire qu’elle était sexy, ce qu’elle aurait mal pris, je déclarai à l’éditeuse qu’elle me rappelait Claire Chazal au supermarché, ce qui ne parut pas l’agréer davantage. Simone de Beauvoir ? Pour vous, à ce que je vois, rétorqua-t-elle, les femmes sont soit des présentatrices soit des féministes... Vos collants me font juste penser à ceux de Lucia, confessai-je en descendant lui ouvrir la porte. Vu qu'on était arrivé.

O.S.

jeudi 26 août 2021

J’aime tout le monde
Ses jungles nervales, ses platitudes
Qu'on paie cher ailleurs pour quitter
Troquer le bleu contre le rouge
L’eau des rêves épuisés contre l’ocre technique des déserts sans fin

Vous, oui, vous, néo-rimbaldiens !
À défaut de feu vous rabattez sur la texture de la torche !
Le mystère n’est pas dans les claquements de la langue...
Encore moins dans les grincements picrocholins de ses gonds...
Orphée n’a jamais existé.

Je suis moi-même mallarméen : rose au-dehors, blanc au-dedans.
Le libre a perdu en chemin sa radicalité - rime n’est pas crime les amis !
Terne, sans doute, fossile d’un délire ancien
Infime je l'avoue, un peu ridicule aussi

Strophes, pieds, majuscules, points et étais
Mâchefers d'un protocole dont le répétiteur a tordu la clef

Le lit des amants n’a pas de fond
Si la boue scopique s’est flanquée quelque part sur le corps féminin
Est-il de notre ressort d’en continuer le forage ?
Que restera-t-il une fois éteints nos fantasmes de détectives de Lilliput ?
Ce qui résiste à l’extinction des deux armées.

Le VERS de terre !
Pied-de-nez approximatif au sérieux des champs de batailles
Résurrecteur méticuleux de l’âme des soldats
Creuseur aveugle de galeries laborieuses où même l’enfer
N’a plus droit de cité.

Je suis ouvert de tous côtés !
Lamelle de chair traversé continuellement par des brises d’été
J’essaie de conserver les scories minérales de leur passage

Contre la côte d’Adam
Je voudrais troquer un steak 
                        bien saignant s'il vous plaît m'dame
Bien dégoulinant siouplaît. Le sang est une autre forme de vent

Le réel ce labyrinthe où nous le laissons circuler
Dans l’impuissance fade de nos observations

Voilà mon message aux nostalgiques du corsaire bissexuel : 
N’essayez plus de restaurer le sens d’un mot
Il n'a de poids qu'au milieu du gué, jamais en amont ni à l'aval
Toute image sur lui fondée se terminera par votre propre reflet

Mais laissez remonter à la surface
Laissez, dites, laissez remonter...
Le souvenir moyen de nos putréfactions
La matière seule compte, son absence,

Et le chiffre indiqué par l’éthique balance sur laquelle nous la pesons

Ribes, mercredi 25 août, 6 : 41.