Cendrillon

Cendrillon
« Fallen princess, CINDER », 2017, © Dina Goldstein. Avec l'aimable autorisation de l'artiste.

mardi 12 février 2019

"L'ex-lande de Calais" le 11.02.2019. Photographie © Olivier Saison

Jungle de Calais : chaque jour on rase gratis!

Plus aucune tente, d’églises et de bordels, plus de fourgons de CRS et d’associatifs indignés, plus de rixes interethniques au couteau, plus de viols d’Érythréennes qui finissaient par trouver ça « normal », plus de gros SUV aux vitres teintées immatriculés en Grande-Bretagne circulant librement dans ses allées baptisées « Queen Elisabeth Street » sous l’œil placide des autorités, plus de restaurants ni d’hôtels rackettés et mal orthographiés; plus de jungle de Calais. Plus de classes où des enfants et des adultes apprenaient à compter, parler français ou anglais, plus d’ « École d’arts et métiers », de babyfoot multi-ethniques, plus de concert de Jordi Savall pour remonter le moral, plus de Pamela Anderson sans bouées, de Jude Law clandestin, d’opéra de Noël avec le pieux Michael Lonsdale, plus de maison bleue délocalisée par Maxime Le Forestier, de trocs, de sculptures en cannettes de soda et de chamanisme, de caravanes de « Gynécologues sans frontières », plus de société en devenir à l'extrême bord de l’État français : plus de Jungle de Calais. Mais surtout plus d’Alpha, de Hamid, de Abdullah, de Mme Coco. Plus de prénom - mais des CADA, des CAO, des GUDA et des CPA. De toute façon, cela faisait longtemps que même le nom de Steve Jobs graffé par Banksy avait été rayé de la carte par la municipalité.
Lundi 11 février, rapporte l’association Salam, un campement majoritairement iranien de 200 personnes, est démantelé rue du Pont Trouille (sic), tout comme celui, surtout africain, de la rue des Verrotières et un autre, principalement afghan, situé rue des Oyats. À Marck, commune mitoyenne, un campement de 50 personnes est démonté le même jour. Depuis la fermeture officielle de la jungle en 2016, sa transformation en micro jungles, le processus se répète, sous l’impulsion de la Ville, avec ses démantèlements quotidiens de tentes, sa confiscation systématique d’affaires personnelles, de papiers, documents, médicaments et chaussures, des bois de chauffage distribués par Salam, L'Auberge des migrants ou Utopia. Heureusement, des citernes, disposées loin du centre ville par la Préfecture, permettent encore de remplir son jerricane - au cas où les bouteilles d’eau, les cafés, les thés et soupes dispensés chaque jour par les associations locales ne suffiraient pas...
D’après le procureur de Boulogne, il s’agit de terrains occupés illégalement et les migrants sont pris en flagrant délit ; de plus tout est restituable si le matériel est associatif... D’après Salam, aucune tente, aucun bien, n'a jamais pu être récupéré. La procédure est efficace : les migrants, même affolés par l’imminence du Brexit, laissent faire.
Qui sait, peut-être ont-ils peur d'être envoyés en centre de rétention sur la commune proche de Coquelles ? Sont-ils tombés en dépression à force d’être trempés par les averses, depuis que la police a installé des grillages barbelés sous les ponts pour les empêcher de s’abriter ? Disséminer, rendre invisible. Plus de jungle de Calais : plus de journaliste. Plus d'observateur, d’ONG célèbres, de médiateur Toubon. Pour une fois, la signalétique écologique (photo) plantée avec l’aplomb d’un étendard républicain le long de l’ex jungle de la rue des Dunes, a raison : « Des travaux de renaturation des terrains de l’ex-lande de Calais » sont bel et bien en cours. Et, comme le dit très joliment ce panneau sylleptique, il s’agit d’un « un espace remarquable façonné par l’homme ». La nature humaine, dont celle de l’État, a sauvagement repris ses droits.

O.S.