Cendrillon

Cendrillon
« Fallen princess, CINDER », 2017, © Dina Goldstein. Avec l'aimable autorisation de l'artiste.

mercredi 30 novembre 2022

C'est le bordel chez les anges. Le mari pleure, la femme se flagelle et les enfants paniquent. Les poubelles débordent et le chien attend depuis la veille devant sa gamelle. Les portes claquent et bruissent de murmures dont les plaintes assourdies terrorisent les tous petits. Que faire quand on ne croit plus en dieu ni aux exorcismes ?

Un silence funeste flotte chez les saisons. L'épouse s'y claquemure, la fille fuit dans les bras de Morphée que le mari, cantonné dans ses appartements, aimerait bien rejoindre lui aussi. Seulement il a un stylo, un cahier, de la peine, alors il écrit. Que faire quand on croit encore à la littérature ?

Trouvez-moi le fichu démon responsable de ce tapage ! Ramenez-le nous et remettez-lui en mains propres nos insomnies. Expliquez-lui que nous sommes humains, petits et sensibles malgré les apparences, et que nous ne tiendrons plus longtemps ainsi...

"Pardonnez cette intrusion au beau milieu de vos ruminations mélancoliques, je ne suis pas réellement cet Ennemi pour lequel on voudrait me faire passer ! Je ne conçois pas nos relations dans l'adversité. La qualité diabolique que l'on me prête est bien surannée ! Je préfère, pour tout avouer, semer le désarroi et l'immobilisme, l'anhédonie des Noël sans bougies et la morosité des dimanches. Pour la passion et toute question se rapportant à la quantité qu'on vous a insufflée, voyez avec mon binôme."

Dieu nous t'en supplions, entends notre plainte. Ne déduis rien de sa duplicité. Nous avons deux bras, deux mains, deux jambes et deux gonades mais un seul esprit pour embrasser les quatre directions cardinales que sont la CONFIANCE, la JOIE, l'ESPOIR et la SENSIBILITÉ. Par pitié délivre-nous du bal !

"Sur la tête d'Astarté, cet être-là me plaît ! Je m'en vais lui réserver une chambre où il sera au chaud et jamais à court d'idées. Je lui taillerai ses crayons moi-même et aiguiserai sa plume pour la garder légère. Je veux la voir grimper partout comme un lierre, s'immiscer dans les crevasses de leur carapace et lézarder l'édifice de la cave au grenier! Je ne crois pas au confort. Je ne suis pas l'ambassadeur suprême des sérénités, et je les adore trop pour les laisser pioncer. Ils auront tout le temps pour ça quand les vers leur attaqueront la cafetière. Pour l'heure, un double Espresso pour tout le monde ! Si besoin, j'ai encore plus fort en magasin : Valium, Tranxène et Théralène et, pourquoi pas, une corde et un pistolet !"

Dieu, Satan, il est vrai que nous avons souvent peur des feux que nous avons allumés. Nous mesurons l'acte à notre aune et minimisons à chaque fois la non proportionnalité du brasier. Nous sommes des enfants rieurs bardés d'explosifs et confondons régulièrement les adresses où déposer nos paquets. Nous sommes les irrécupérables du recyclage émotionnel, des excités du cardio, des dingos du carquois (oui, nous idolâtrons parfois Cupidon !). Accordez-nous une nuit simple et sans artifices, une nuit et une seule, et en échange, demain, nous vous promettons à tous deux que nous recommencerons à craindre, à gémir et à prier !

Saint-Lager, 16.10. 2022.

Non ce n'est pas le coeur ni un bout de cerveau. C'est un oeil. Le coeur est un oeil qui perçoit des choses à travers ses propres brumes, qui les fait surgir ou lentement paraître, puis les escamote après les avoir dotées de détails si nets et si purs que la réalité même n'aurait pu les concevoir. Cet oeil contient sa propre lumière et les choses qu'il voit ne projettent pas d'ombre ; elles rayonnent nuit et jour, parfois proches, parfois lointaines, laborieusement absentes.
C'est par cet oeil que tu m'es apparue. Vêtue et soudainement nue. Inouïe et familière. Comme si mon âme profonde avait vomi un fantôme qui s'était bêtement incarné là, devant moi. J'ai fermé la paupière, tu étais là - l'ai rouverte, tu étais là, sous des atours constamment différents, te détachant de ton propre sexe, comme coupée de ta propre histoire. Sans doute, tu n'étais plus exactement toi-même. Sans doute, tu vis se refléter sur mon regard une silhouette autre que la tienne et dont toi et moi ne connaissons ni le patronyme ni l'origine. Cet être anonyme est le bâtard le plus pur et le plus immaculé : nul ne l'a conçu, nul ne l'a engendré. Il est l'enfant de nos imperfections. Il n'a pas le souvenir du foutre, n'a pas connu de ventre et cependant, il ne peut vivre sans nous.
À mes yeux, ce bâtard est une femme. Aux tiens, un homme. Il se tient là, dans le coin de notre oeil, ne cille pas. Tant qu'il est là, il ne cille pas. S'il vient à mourir, une part non quantifiable de nos yeux respectifs s'éteindra avec lui : elle se vitrifiera, deviendra opaque, aveugle à elle-même, mendiant aux nouveaux avenirs quelque chose qu'elle ne se rappelle pas.
Pour l'heure, ton visage demeure. Il n'est pas la somme de tes traits, de tes mots, pas davantage que le parfum obsédant qui en émane ne provient intégralement d'un flacon. S'il venait à partir, je ne le retrouverai pas sur le plus séduisant des minois car la beauté que mon oeil lui trouve relève d'une éternité parallèle.
Ce visage est légèrement différent de celui que je retrouverai demain. Vivre en moi l'a déformé. A prélevé en toi quelque chose que tu ignores et ignoreras jusqu'à ta mort.
Il est merveilleux de toucher d'aussi près l'étrangeté du monde. T'embrassant, j'embrasse un nouveau genre d'inconnu : l'inconnu qui se trouvait en moi soulève d'un baiser celui que tu portais de ton côté.
Nous voudrions parfois qu'il desserre le poing et nous laisse respirer un peu, mais redoutons plus encore qu'il ne nous lâche pour de bon, tant nous craignons le néant neutre qui pourrait lui succéder ; sa prise, peut-être, gonflait aussi les poumons qu'il vidait.
Je vais désormais rejoindre les songes, mais il est un oeil qui ne se fermera pas.
Dans la nuit de mon âme vigilante, ce grand quelque chose qui te ressemble restera assise, prête à me sourire et à me chuchoter que tu existes.

Saint-Lager, 16.10.22.

samedi 12 novembre 2022

Femmes au foyer (II)

Ton tiroir à ton chevet est ton dernier jardin secret
Que tu rallumes chaque soir en éteignant ta chambrée
Contre toi ton mari ronfle, au loin tes enfants marmonnent
Tes pieds froids cherchent sous tes draps les tièdes étriers
Qu'un sursaut d'imaginaire leur tend d'un élan morne.

Dans un silence propice tu t'es mise à rêver
De lézardes, de failles et d'interstices qui débordent les tiens
La soie de ton pyjama déjà s'humecte pour le Grand Vizir
Cette tige exogène qui dans un instant peuplera ta corolle 
Et couronnera de sa coiffe ta volonté souveraine.

Il t'en reste si peu, et cet hommage rare
Tu n'entends pas le laisser passer, alors tu le sors, tu le prends
Le caresses, le lèches et l'approches encore
Du néant touffu dont l'ennui t'a creusé l'abdomen
Ta joue s'enfonce dans l'oreiller où s'étouffe ce cri

Qu'au matin de ta vie, jeune lionne, tu préférais faire retentir
La sueur de ton âme, il est vrai, était plus claire autrefois
Soeur jumelle des fontaines auxquelles buvaient les intrépides
Rarement avais-tu le temps de contempler ton reflet
Car les rides qui brouillaient ton minois perlaient de ton front

Et ces mains qui étreignaient tes épaules n'étaient pas les tiennes
Tout comme ces lèvres qui te dévoraient l'oreille
En t'arrosant de ces noms qu'aujourd'hui tu hais.
Désormais les flots en toi ne bouillonnent qu'en casserole
Emblème ergonomique du nouveau rôle que le mâle monde t'a assigné

Et dans la pénombre de la geôle qu'assidûment tu pratiques
Entourée d'objets secs réservant leurs charmes au jour bienséant
Ta nuit et ton cri s'étrécissent aux dimensions de ce terne sultan
Assez dur pour contrer la lâcheté de ta chair
Mais assez souple pour épouser les méandres du désarroi  

D'une vie si lisse qu'elle te file entre les doigts.

Saint-Lager, 12.11.22.

vendredi 11 novembre 2022

Femme au foyer
(bien que l'expression tende à disparaître)

Les cendres que tu attises restent toujours un peu froides
La routine s'est muée chez toi en rituel semi-magique
Désespoir et dévotion transformant en mystères ces missions dérisoires
Essentielles à tes sacrificateurs, si mineures à tes yeux
Le moi en toi s'est recroquevillé dans un coin de ta cervelle
Où il a forgé le noyau glacial, cet inexpugnable et opaque cristal
Que parfois l'homme et le garçonnet qu'il est resté, entr'aperçoivent 
À la fois effarés et tristes et repentants
Témoins passifs du miracle quotidien
Qui coule, fluide, des corvées que tu enchaînes
Par les maillons d'une abnégation invincible
Les yeux fous du poète et du romancier passent sur toi sans s'arrêter
Quand ceux du sociologue t'assoient sur un trône de paille
Que celles qui se sont déjà relevées rêvent de brûler.
Mais il y a longtemps que le quotidien t'a changée en chimère
Mi-femme mi-cendres, à jamais parmi les tiens solitaire,
Coeur las condamné à palpiter en cadence pour rythmer les jours de tes esclavagistes.
Ton être expire chaque soir au gré des rires des tablées que tu dresses.
Nappes et chiffons essuient chaque matin les traces de celle que tu fus,
Puis, dans un sourire étrange, et trahissant la laisse, il n'est pas rare que tu portes à ton tour
Un toast à ta mort, et au symbole anonyme dans lequel tu t'es tue.

Saint-Lager, 11.11.22.

mercredi 9 novembre 2022

Bellot du mur

Pourriture de portrait, croqué par un bon ami, tu ne me toises pas, tu regardes ailleurs et plus précisément vers cette porte comme si tu devinais qui l'avait passée pour la première et sans doute dernière fois ! 
Dimensions inédites, vaguement celles d'un poster d'adolescent ; cadre en bois léger déjà en partie ébréché (tu es tombé ah ah foutu visage de moi!). Le tableau hyper rectangulaire de ma caricature est accroché juste en face de mon nouveau lit et...
A-t-il remarqué quelque chose ? A-t-il senti, perçu quelque mouvement furtif s'approchant de l'annexe où je me tapis à l'abri de ma honte ?
Ses sourcils sont à la fois moqueurs et un peu inquiets. L'écriture est cette terne magie qui veut faire parler les murs.
Toi et moi, OTTO, avons au moins une chose en commun. Nous avons toujours regardé ailleurs. Nous n'avons JAMAIS regardé la réalité en face. Il n'est que justice que nous achevions notre marche en crabe, notre existence oblique, dans cette chambre annexe, puissamment lamentable et a-conjugale.
Toi et moi, portrait, faisons la paire ; sais-tu que, même si tu me ressembles un peu, version de moi plus accusée (nette), je n'ai aucune affection pour toi. Ah il est beau le narcissisme !
On t'a a offert à moi pour mon anniversaire, portrait veuf désemballé de frais parmi nombre d'êtres qui me sont chers (et une en particulier, qui m'a été chair et m'aura coûté ouchiouchi !) et, CEPENDANT, ta vue ne suscite en moi nostalgie ni joie. Je vais te faire une confidence, crétin hyperbolique, sosie pourri : depuis que j'ai réappris à vivre, je n'existe plus, c'est un torrent indécent. Tu veux ma définition actuelle, tu la veux hein, grossier personnage ? Plaie à vif entourée de chairs anesthésiées, guettant le signe blessant qui la refera saigner.
Nom de non, ce que j'aimerais être à ton image ! J'aimerais être fixe, comme toi circonscrit et cadré, à jamais similaire à moi-même et, quel que soit le désespoir ressenti, le regard à jamais tourné vers cette porte qui ne se rouvre pas.                                                                        
St-Lager, 12.11.22.