Cendrillon

Cendrillon
« Fallen princess, CINDER », 2017, © Dina Goldstein. Avec l'aimable autorisation de l'artiste.

vendredi 31 août 2018

POÉSIE

Un kilo de fable pseudo didactique avec "L'Expert
et le Fantaisiste"!


DR


Ému par les faits, 
Un agnostique jusque là reclus s'interrogeait : 
« S’il est vrai que toute réalité peut rimer,
Avec laquelle le terme Daesh peut-il bien résonner ? »
Comme maint Français de son âge et de sa condition,
Dès le soir notre fantaisiste alluma sa télévision.
Des experts, sur un plateau, devisaient avec animation,
Tour à tour politologues, historiens et garants de l’actualité,
Tous martelaient qu’il n’était plus temps
De battre sa coulpe, de s’intéresser aux idées...
Mue par l’impuissance, leur science à ses yeux toutefois
Ressemblait à s’y méprendre aux menaces dilatoires
De lapins albinos pris dans les phares -
De ce véhicule de pensée qui, par son noir blindage, les fascinait.
Le salafisme égyptien, le wahhabisme séoudien,
Tout, ils savaient tout de ces idéaux lointains
Qu’ils disaient ressurgir de quelque moyen âge,
Âge partant ni assez grand ni suffisamment ancien
En lequel l’Europe elle-même,
Ce continent si sage et réservé, avait certes, mais bien plus tôt, versé.
Il fallait donc d'abord pleurer avec les victimes,
À tout le moins privilégier la communion laïque aux ratiocinations philosophiques :
On est attaqué, eh quoi, il faudra bien se défendre ! 
Nouer des alliances et s’en aller together bombarder !
Qu’importe de connaître et la qualité de la bague et le visage de l’ennemi !
Filtré par nos yeux rouges, ce dernier n’aura plus qu’un trait,
Voire deux : l’arme automatique et les explosifs qui le ceignaient.
« Il veut faire taire nos jolies musiques, ce mécréant ?
Nous lui imposerons donc le silence ! ».
Nos historiens, aveuglés par un juste courroux,
Avaient soudain oublié qu’en terme d’Histoire, l’innocence ne vaut rien,
Et les notions de légitimité et de folie guère davantage.
Bref, « pourquoi Daesh ? » est une question qu’ils détestaient se poser.
« Pourquoi des Français qui n’avaient pas 10 ans le 11-Septembre,
S’en allaient-ils bien avant novembre, en territoire inconnu,
La Nike aux pieds, guerroyer pour un Dieu qu’ils connaissaient à peine,
Débusquer dans un califat hypothétique leur parcelle de liberté
Délaissant jusqu’à leurs trafics de shit pour un transport sacré
En moins de temps qu’il n'en fallait à nos radios pour agiter les nombres impies
D’une crise bientôt centenaire, du chômage et de l'impéritie ? »
Assis, mais guère instruit, notre fantaisiste cherchait en vain
Depuis ce canapé si bien stigmatisé par un Laurent Wauquiez
L'origine de tous ces « qui », « comment » et « par où commencer ? »
Quand une page de publicité éveilla son intérêt.
On y vendait un mec.com...
Avec la candeur ardente d’une Église nouvellement née...
Et si l’identité d'un monde arabe, se demanda notre velléitaire,
S’était-elle, elle aussi, sentie menacée ?
Si notre vaillant esprit de marché avait, chez ces barbus pubères,
De fort anciens gênes réveillés ?
Non ceux d’un âge chimérique, mais d’une époque déjà reculée :
L’ére de la spiritualité, du moins de l’esprit ?
La religion est un argument local mais le besoin, peut-être,
En reste universel : l’œil qui voit trop de chiffres sitôt se tourne vers le ciel
Lui arrachant des certitudes que Dieu en personne
N’aurait eu l’arrogance d’asséner.
Il faut à l’aveugle greffé plus d’années pour retrouver l’acuité
Et distinguer une auréole des simples lauriers.
Avec quoi donc faire rimer Daesh, à la fois en arabe et en français ?
Avec « prêche » ? Avec « Lâche » ?
« Brèche », ou juste « kalash » ?
Troublé, le fantaisiste éteignit son poste,
Son téléphone, sa box, la lumière. Sa légèreté.
Le meilleur imam des âmes immatures
Ne serait-il pas finalement tout ce qui, en nous,
Prétendait négliger une petite flamme banale,
Cendre discrète qu’Occident a longtemps ignorée,
Pour l’avoir, par le passé, trop vivement attisée ?
Les enfants perdus de l’or noir roulent de nouveau pour l’Essence.
C’est d’ailleurs la couleur du drapeau que leur SUV font flotter,
Et que dans le sable de nos propres déserts nous voudrions étouffer.
« Achetez mesdames, consommez vieillards, enfants en bas âge,
Dansez au rythme de votre pauvreté !
Jamais ne vous laissez impressionner par toute cette folie !
- Vivre, rire et chanter nous voulons bien, monsieur le marchand,
Et au rythme étincelant de vos aigles métalliques prolonger la valse,
Mais non les recevoir comme des pommes faméliques
Qu’on pourrait nous refourguer un jour sous copyright
Dans l’acronyme flamboyant d’un nouveau pack
Combinant Dance, Achats, Sex et Habitus
Afin d’oublier Désespoir, Attentat, Silence, Horreur...
Pour Daesh, conclut-il, la rime n’était peut-être pas née.
La fantaisie tourna court et s’inclina.
Le crâne déjà farci d’autres rimes, notre farfelu se recoucha.
Songeant à ce que les faits auraient pu être
Dans quelque entresol empli de joies, d’unions et d’esprits ;
Cet étage médian où l'Occident d’avant le 13, emporté par son élan
Ou ralenti dans son assomption, n’avait pris le temps de s’arrêter.


O.S. 27/11/2015 

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