Cendrillon

Cendrillon
« Fallen princess, CINDER », 2017, © Dina Goldstein. Avec l'aimable autorisation de l'artiste.

lundi 24 octobre 2022

Ton parfum s'est dissipé
Dans nos oreillers
Distraitement, au cours d'une année
Jusqu'à tes pleurs ont étouffé
Et tes rires
Et tes colères ô mon ancienne aimée

Ma belle, ma noble, ma tendre épousée
Assassinée sans raison par mon coeur intermittent
Amour, je t'en prie, épargne notre souvenir
Fais de la poussière un cocon où il se lovera
Autour de ce visage que j'ai tant chéri
Je veux que tu lui donnes l'éternité des icônes
Que tu lui rendes enfin la couleur royale
Que mon impiété lui a ravie

Et ce prénom qui orne mon alliance
Ce surnom que ce même coeur lui offrit
Avant que d'en effacer toute trace
Je le veux tatouer dans le sang de ma honte
Et l'emporter dans la fosse commune
Réservée à tous ceux qui ont oublié
Le premier nom de leur amour.

Ce n'est pas le temps
Ce n'est pas le temps qui passe
Ce n'est pas le temps qui reste
C'est le gouffre rieur du puissant présent
Qui tout superpose, qui de tout
Fait cette fine lamelle de peau
Que nous foulons au pied.

À qui appartient la lumière
Que j'ai aperçue au fond de ton oubli ?
Qui scintille si gaiement
Parmi tes larmes et tes tourments ?
Appartient-elle à Dieu, au néant, à quiconque ?
D'où vient cet or nouveau qui me baigne le visage
Après l'avoir rendu aveugle à celle qui l'avait ébloui ?

Le rose dont l'amnésie teint mes vieilles joues
Ne bariolera jamais les chrysanthèmes
Que mon léger remords a jeté sur ta tombe car
Dans l'eau noire de mon âme
Tu ressurgis encore et encore, immaculée.

Saint-Lager, 24.10.2022.

jeudi 13 octobre 2022

Exorcisme, pratique magique

Ce sentier, tu l'as peut-être raté cent fois
Armée de ta boussole faite à Dacca
Cette porte était peut-être celle de votre buanderie
Et ce lit, celui qui reçut ton aïeul incontinent :
C'était bien avant l'époque où tu roupillais pendant mes boniments.

Tes grimaces de jeune gargouille mafflue
Tirant la langue dans la neige fondue
Affalée sous une luge à la trajectoire mal négociée
Repose sans doute maintenant au fond d'un tiroir rustique,
Parmi les rognures de crayon, les punaises rouillées et les élastiques.

Encore un appartement où, jeune demoiselle, tu n'habitas qu'un an
Peuplé d'inconnus dont je me fous éperdument
Encore un de tes musées de la charentaise et du santon  
Fermés pour cause de désertion.

Et c'est pour ces images stupéfiantes
Que je ne reconnais pas ce sentier mille fois pris
Qui fut le nôtre.
Que j'ignore que ce toit qui m'est vaguement familier
Est en fait celui de ton foyer.

Quel dieu clément fut soudain solidaire de mon vécu ?
Quel ange dominical a tiédi mes ardeurs,
Jeté tes disques, épargné les miens ?
Par quelle ironie puis-je encore sans pouffer
Tenir gravement la main gauche qui me les a rayés ?

À l'heure qu'il est, ma maison est sauve, tous ceux qui y vivent
Ont déjà repris la piste rituelle de l'hypermarché
Et de la foirfouille à laquelle ma folie les a menés.
Le troc radieux qui échangea mon couple
Contre ton cul est tombé en carafe. 

Rejoins ton oubli, pauvre endormie.
L'unique idée que tu conserveras de moi
Portera en son sein mille chemins faussés
Où prolifèrent les puces de toutes les chiennes qui m'ont aimé
Pour le cabot que j'étais et qu'à jamais je resterai.

Emporte avec toi tes protections légères
Dont tu as lesté mes sanitaires et grevé ma vie prospère :
C'est le dernier vestige de notre lien. Je te les laisse.
Fais t'en un bonnet, un string ou des papillotes, qu'importe :
L'ennui que tu distillais m'a guéri tout entier.

Autopastiche, Saint-Lager, 13.10.22.


mardi 11 octobre 2022

Ce sentier, tu l'as peut-être emprunté cent fois,
Accompagnée d'amis que je ne connaîtrai pas.
Cette porte était peut-être celle de ta chambre
Et ce lit, celui dans lequel on te bordait enfant
À l'époque d'or où on te régalait de contes.

Ton minois de fillette encagoulée la goutte au nez
Souriant dans la neige blanche
Trônant sur la luge des meilleurs des royaumes
Est posé, peut-être, sur un buffet pittoresque
Ou sur la porte close d'un frigo sans attrait.

Encore une maison, là-bas, qui fut la tienne,
Et où tu demeuras adolescente puis jeune fille,
Encore un musée de tes intimités,
Fermé aux étrangers dont je suis.

Et c'est pour ces images suspendues
Que je ne connais plus ce sentier cent fois pris
Qui fut le mien.
Que j'ignore que le toit qui me protège
Est encore celui de mon foyer.

Quel dieu infâme est désormais dépositaire de mon vécu ?
Quel démon a mélangé mes routes,
Pillé mes biens, dépossédé les miens ?
Par quelle ironie puis-je encore un instant
Caresser la main douce qui me les ravit ?

À présent ma maison et tous ceux qui y vivent
Prennent déjà le chemin du mausolée
Et de la tombe que ma folie leur a creusée.
Le troc odieux qui échangea tout mon passé
Contre ton présent leur sert déjà d'épitaphe.

Dors dans l'oubli, belle endormie.
L'unique idée que tu conserveras de moi
Portera en son sein mille chemins abandonnés
Où prolifèrent les ronces de ceux qui m'ont aimé
Pour celui que j'étais et que plus jamais ne serai.

Emporte dans tes songes la chimère légère
Que tu as fait de ma vie déracinée, omise :
C'est le dernier vestige de notre lien. Je te le laisse.
Fais t'en un lacet, un collier ou une corde, qu'importe :
L'amnésie que tu distillais m'a blanchi tout entier.


OS. Saint-Lager, 10.10.22

dimanche 9 octobre 2022

Dans nos regards inversés,
Coule le torrent silencieux d'affluents différents
Charriant débris d'histoires et deuils insoupçonnés
Boues lourdes et limons agissants.

"Vers quelle mer ce long échange d'espèces
Fuyantes et visqueuses, lapins, carpes et brochets,
Têtards, prédateurs, coagulant dans la laisse,
Envisagera donc de se porter ?"

Le flux seul compte, mon onde adorée,
Vois nos anciens corps gisant là-bas sur la berge
De nos existences asséchées, telles les mues désertées
Par l'élan qui nous mène et toujours converge.

Pour qui subsistent les traits subtils de nos passés ?
Ces rides superficielles d'un temps réinitialisé,
Ces carillons sourds d'antiques horloges cassées,
Noyées, toutes, dans le brasier bleu de notre actualité.

Quelle que soit la nage choisie, le torrent inédit
Possède la fougue imbécile des enfants non sevrés :
S'étendre, bourdonne-t-il, fermer l'oeil, rouvrir les branchies,
Descendre chez Neptune, fuir la trop noble odyssée.

Saluer l'oxygène, celui de ces vies que nous avions tant respirées
Récréer ensemble un azote, peupler l'eau de nos petites bulles
Redevenir hippocampes sans poids, anguilles, poulpes ou raies
Porter un toast fluide au cimetière de pendules.

Sonder, du ventre effleurer les fonds, puis s'égarer au large,
Notre surface et notre abysse fondues soudain en un seul baiser
À contre-courant, le temps remonté redevient sauvage,
Ton visage, une brasse où tes yeux sont mes yeux échangés.


Saint-Lager, 8.10.2022.

lundi 3 octobre 2022

Roman
I

On n'est pas sérieux quand on a cinquante ans.
- Un beau soir, loin des rites et de la promenade,
Des foyers apaisés au luxe rassurant !
- On part sous les aulnes noirs de la débandade.

Les aulnes sentent fort dans les soirs de juillet !
L'air est parfois si chaud, qu'on snobe la chaumière ;
Le foehn si chargé de bruits - le vice est tout près -
Prend des relents de guigne et d'échos mortifères...

II

- Voilà qu'on envisage un tout joli chiffon
De rouge, surplombé d'une petite mèche,
Lesté d'une rose qui tortille du con
Paré de doux frissons, pour qu'on hume et qu'on lèche...

Nuit de juillet ! Demi-siècle ! - On se laisse jeuner.
Sa sève est un tord-boyau qui prend à la gorge...
On délire ; on se sent dans l'esprit un acier
Qui fume et rougeoie là, comme arraché aux forges !

III

Le coeur fou bovaryse à travers des romans,
- Lorsque, dans l'obscurité d'un innocent lycée,
S'allonge cette dame aux désespoirs charmants,
Sous les auspices spécieux d'un mariage âgé...

Et, comme elle vous a trouvé superbement sage, 
Tout en faisant cliqueter ses ongles nacrés
Elle sourit, se tourne et vous ouvre son corsage...
- À votre doigt s'éteint alors l'anneau sacré...

IV

Vous êtes langoureux. Ranimé jusqu'au mois d'août.
Vous êtes langoureux - vos pastiches la font rire.
Vos amis tiquent, vous ne valez plus un clou.
- Puis l'adorée, un jour, daigne vous convertir... !

- Cette année-là... - on vous revoit dans un foyer
Au luxe rassurant, aux vertes promenades...
- On n'est pas sérieux, passé cinquante étés,
Lorsqu'on aime l'aulne noir de la débandade.


"Pastiche IV", OS, Saint-Lager, 3.10.22.