Cendrillon

Cendrillon
« Fallen princess, CINDER », 2017, © Dina Goldstein. Avec l'aimable autorisation de l'artiste.

samedi 4 février 2023

Discours de la méthode

N'être sûr de rien. Ne se fier qu'aux détails. Croire percevoir des indices. Ne jamais s'en satisfaire. Laisser la panique s'installer puis retomber.
Recommencer le lendemain. Se lever crevé. Y croire volontiers. Oublier les doutes de la veille. Y croire de nouveau. Confondre le soir et le lendemain matin, puis l'aurore et le crépuscule.
Renier la maladie. Prendre ses drogues. Être surpris d'espérer. Se laisser contaminer par la joie. Fêter l'improbable et savoir qu'on l'a déjà rendu possible. Oublier et recommencer à craindre. Exulter.
Ne pas considérer que le monde est clos et l'infini, à portée. Savoir se tenir. Courber l'échine devant la loi, les yeux derrière la tête. Sourire de façon narquoise et ne rien respecter.
Partir en aveugle, les mains dans les poches. Ne rien calculer. Se fier aux mauvaises étoiles et adorer la lune quand elle brille à moitié vide. Regarder la nuit de façon éclairée, ne concevoir le soleil qu'à la façon d'un subterfuge suprême.
Ne jamais mesurer son pouls. Risquer l'infarctus, aduler l'orgasme, le coup de soleil du feu de joie et l'amertume des cendres. Avoir les mains moites et laisser l'autre, l'aimée, souffler dessus. Lui laisser embrasser vos paumes comme si elles étaient sacrées.
Comme si vos anciennes plaies avaient connu le clou.
Ouvrir votre porte intime à ses déménageurs. Mémoriser leurs baisers. Les laisser briser gentiment vos plus belles porcelaines.
Défaire vos draps conjugaux et les mettre à suspendre aux yeux de tous. Exposer sa tache, même nouvelle. Ne pas avoir honte. Ne jamais espérer de pardon.
Continuer à vaquer à sa vie, à moitié changé. Aux trois quarts bouleversé. Attendre ou pas que le dernier quart suivra. Passer la soirée comme si rien n'avait changé, sans falsifier la façade.
Être sûr de peu. Être capable de rien ou de tout. Rater. Endurer. Pleurer d'avoir causé des ravages. Recommencer. Se passer du couteau et de l'arme à feu pour privilégier la tendresse. Sur un coup de tête, refuser de bluffer. Fermer les yeux au carrefour, brûler les feux, tailler la route.
Tailler la route et même celle de l'autre.
Foncer. Ne pas freiner et pourtant subsister. Lever la tête et adorer la lune à moitié pleine. Hurler tel un demi loup-garou ou un lionceau malade. Flatter les animaux laids, même quand c'est le vôtre, même quand c'est le sien. Aimer l'étrange et le honteux. Assumer le biscornu. Faire l'éloge du dommage corporel. Se sauver mais ne pas fuir. Être rattrapé, et régénéré.
L'abandonner à elle-même. Lui rappeler que nous serons toujours là quand nous mourrons.
Écrire une belle histoire remplie de fautes, ne jamais se contenter d'une nouvelle, incinérer sans une larme les romans interminables. Mentir pour de vrai, pour de bon.
Emprunter le chemin de l'autre. Se baigner dans ses ornières. Se rappeler le poitrail martelé du romantique et déboutonner sa chemise. Dégrafer. Tirer dessus. Défaire.
Pour refaire.
Refaire, sans répéter. Renaître sans périr. Faire de l'existence une petite éternité. Privilégier le pluriel, oublier le "Je", refuser de jouer : risquer gros. Faire tapis. Être nu et s'exposer sans plainte à la cruauté.
Brûler tous les cierges qu'on n'a pas. Adorer des idoles obscures, devenir sataniste pour mieux contourner l'enfer. Empoigner à deux mains le plateau vernis du paradis. Le descendre et l'embrasser. Se dire qu'on a décidé. Voulu. 
Cherché. Se dire qu'on a réussi presque malgré nous en dépit du bon sens,. Se taire. Cesser d'écrire. Apprécier. Fermer les paupières.
Écouter. Le bruit. Ce raffut indigne. Ce glas festif.
C'est la cloche d'airain de votre second coeur.


OS. Saint-Lager, 30.09.22.