Cendrillon

Cendrillon
« Fallen princess, CINDER », 2017, © Dina Goldstein. Avec l'aimable autorisation de l'artiste.

mercredi 17 septembre 2025

 
Le code dans Google est rentré. Est aussi rentré l'os avec lequel ma petite chienne va jouer pendant la nuit. Le sujet : un album de punk rock. Les lecteurs français écoutent-ils du punk rock, écoutent-ils les derniers albums de NoFx ? Groupe de Los Angeles fondé en 1983 et dont les quatre derniers albums contiennent au moins une pépite : le dernier morceau.

Il y a quelques jours, une amie s'est fait poignarder. Son mari a remonté les traces de sang jusqu'au corps, petit Poucet désemparé. Tout à l'heure, une élève en pleurs m'a avoué que son père lui manquait - c'était le premier anniversaire de sa mort. Y a-t-il quelqu'un d'épargné ? La mort, moi aussi, me poursuit - elle se vante, me propose son régime anti-calories. La vérité est que je ne suis pas son ennemi, ne lui en déplaise. Je ne suis pas non plus son ami. Mais je l'accueille, faute de mieux. Elle ne m'effraie plus. Fut un temps où je lui trouvais des qualités mais ce temps est mort à son tour. Eh oui. Paix à son âme. Mort, je te pardonne, ma pauvre. Tu ne seras jamais qu'un épisode final, au terme de longs chapitres sur lesquels tu n'as pas eu prise. Tu n'es qu'un point ponctuant une suite interminable de phrases. Tu viens après la fête, après tout. Tu te contentes du dernier verre, un peu tiède. Je te plains. Pendant que nous vivions, tu attendais, tapie dans un placard, épouvantail soucieux d'une mauvaise farce - je te le dis, tu perds ton temps en nous le volant. Tu es tellement partout que nous nous sommes habitués à ton odeur. Nous avons presque oublié ton ombre. Nous seuls savons profiter d'un ultime rai de soleil, plus radieux encore au crépuscule. 

Le titre "Gone with the heroined" n'est pas romantique. C'est un constat, comme celui que, toutes et tous, nous avons ou aurons à faire chaque jour. Et ? Qui est assez con pour se croire immortel ? Nous avons beau passer notre temps à vouloir faire entrer des cubes dans des triangles, nous pressentons quelle sera la forme de la boîte. Ton nez écrasé et osseux, camarde, masque mal ton vide face à nos pointes. Nos pics de modestes électrocardiogrammes. Notre date de péremption est ce qui rend la pilule valide. Nous t'échapperons. Courrons à travers bois en nous trompant de chemins. L'orée est le plaisir à jamais repoussé. Plaidons pour que la littérature en parle, de ces folles échappées. La mort gît dans les canapés. Restons en mouvement. Soyons des fuyards, des erratiques, des incertains, ne simplifions jamais le labyrinthe qui s'offre à nous. Cessons de nous prendre en pitié. Nous sommes si beaux, nous ne sommes pas faits pour durer. Il faut aller vite, le plus longtemps possible. Tout ce qui nous fige sera menace. Nous ne sommes pas seulement plusieurs, nous sommes du temps dont la rareté fait la valeur. Nous n'avons pas même à nous forcer, car telle est notre nature, ce pourquoi nous sommes nés. Bravo, les humains ! Bravo, nos erreurs ! Face à ta fixité nous reprendrons notre souffle. Nos jambes s'agiteront en vain, c'est leur charme. NoFx : pas d'effets spéciaux. Pas d'artifices. Nous savons, nous faisons, ne réflechissons pas. Pas de larmes. Aucun repenti. Punk rock*.

* Et si la musique est rayée, crachotte, nous l'entendrons quand même. 

Ô mort, lamentable fatalité
Tu fais nos poubelles, nos cendriers
Que n'as-tu connu les braises ?
Je t'invite à cotoyer nos incendies
Nos pulsions, nos rêves brefs, nos mensonges, nos illusions
L'éternité pue la mort
Le chacal et l'économie, la gestion des énergies
Nous serons le trait fulgurant qui te rature
Nous t'acculerons, te la jouerons mauvaise, te la ferons à l'envers
Emmerde-toi bien en calculant nos chiffres
En débrouillant nos lignes de vie
Car nous sommes l'écart, l'entorse, l'exception
L'idiotie et le partage
D'un même rêve dont tu es exclue
L'être, chère mort...
L'ÊTRE
Ce que tu ne pourras jamais saisir
Sinon en coagulant notre sang
En coupant notre souffle
Qui jusqu'au dernier instant, combattra
La fixité promise
La révolte est notre gène
Ton antithèse, ton sarcasme
Nous nous levons brièvement contre ton pouvoir
Ce contrat que nous n'avons pas signé et auquel nous souscrirons
La signature à la fin de la lettre sera la nôtre. 
Nous te laissons le soin laborieux de corroder peu à peu
Nos dates sur nos tombes
Fâne bien les fleurs de nos proches
Offre aux plus belles corolles cette odeur d'urine
Favorise l'oubli, détourne nos amis de ce qui nous avait importé
Nous serons les spectres qui te hantent
La dernière lettre de l'épitaphe, l'ultime et revancharde étamine
Que ton vent puissant n'aura su emporter. 
Nul néant n'échappe à la poussière qu'il a créée. 

 

OS. Saint-Lager, le 17.09.24 

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