Saisoniades (1) Petit guide d'un Goncours toujours !
J’emmerde la littérature française
On me dit qu’il y
aurait en France de moins en moins de lecteurs de littérature française.
C’est une très bonne
nouvelle.
Ça prouve que le
public français a encore quelque goût pour l'ingénuité de l’imaginaire.
On me dit que je
ferais partie, moi aussi, avec mes bouquins, de la littérature française ?
C’est une mauvaise
nouvelle. Un accablement. Une honte, presque.
Ça y est, voilà que je
me prends à écrire comme un auteur français. En glissant des tas de points
partout. En aménageant des silences. Pour rendre la chose plus grave. Et espérer,
secrètement, quelques applaudissements muets dignes de cette gravité. De cette
solennité componctuationnelle que prisent tant certains critiques de la presse
culturelle. Normal, quand on y réfléchit.
Ils écrivent pareil.
L’émotion, sans doute.
Je n’ai pas dit qu’il
ne fallait pas quelques points. Mais des virgules, c’est plus commun, et ça
oblige à faire des phrases. Subordonner. Argumenter. Tout ça.
Un vice, une tare, ce
style ; un problème de génome.
Le fait est que j’en
crève, moi, de coudoyer de ma pile rase-motte les tours autofictives velues de Christine Angot ! Si j’avais un chien, je l’appellerais Christinangot. Je lui
crierais :
« Assis
Christinangot, donne la patte, rentre ta langue ! Tu baves. T’en fous
partout. »
Tu ne fais même que ça.
Et pourtant, à chaque fois que je la vois, je la trouve attachante, Christine. À
vous donner l’envie de l’appeler par son prénom. Un prénom français, certes,
mais sympathique. Tout le contraire de Sollers ou Houellebecq, qui ne méritent
que leur pseudonyme. On se voit mal les appeler Philou ou Michou. D’ailleurs,
ces grands amis de l’espèce humaine ne le permettraient pas. La poussière la
plus récente est aussi la plus jalouse de ses prérogatives, dans cette galerie
des glaces déformantes que constitue notre palais actuel des éminences grises.
Très français aussi, ça, quand on pense.
Un nabot s’y regarde
et, sous prétexte qu’il a du style et quelques lettres, et, en sus, assez de
bagout pour les rendre populaires, se prend pour Céline, Sade ou Molière. C’était
pourtant là que résidait peut-être la solution, celle qui aurait pu sauver le
petit roman français contemporain de l’ancien ; la déformation.
Arrêter de croire que
c’est à force d’astiquer toujours le même miroir qu’on permet à une société de
mieux se regarder en face. Ces dernières cinquante années sont absolument férues
de réalité. 100% reality-compatible (comme s’il pouvait en être autrement). Ça
a commencé à la télé, avec des séries vantant l’expertise de la police
scientifique ou d’un néphrologue irascible, et, manque de bol, ça a fini dans
nos livres.
Et donc on entre dans
un roman français comme on ouvre la porte de l’agence de Stéphane Plaza. C’est
bien décoré. Ultra bien... agencé. Ça a du goût. Le plot est au poil. Ça
ressemble à ce qu’on voit chez nous. Mais en mieux. En plus aigu. C’est très
con, mais formulé avec élégance. Tact.
Ça sent la même odeur
de pet et de fleurs séchées - l’encens, je vous le rappelle, est cancérigène.
Et qu’est-ce que ça a l’air vrai ! Nom d’un chien ! Cette fille ou ce type - avec un vrai prénom, habitant une vraie rue (mais pas la bonne) - a souffert. Pas du chiqué. Je me mets à sa place. Ça doit pas être facile, d’être aussi lucide et vraisemblable. Il en faut, du produit à vitres.
Et qu’est-ce que ça a l’air vrai ! Nom d’un chien ! Cette fille ou ce type - avec un vrai prénom, habitant une vraie rue (mais pas la bonne) - a souffert. Pas du chiqué. Je me mets à sa place. Ça doit pas être facile, d’être aussi lucide et vraisemblable. Il en faut, du produit à vitres.
« C’est concis,
net, embarquant. »
Transparent. La dernière
fois que j’ai vu autant de réalités, moi, c’était depuis le divan poussiéreux d’un
psychiatre.
Il m’en avait fait
miroiter mille et une facettes, toutes plus nuancées, tortueuses et crédibles
les unes que les autres. Je lui ai rétorqué que ça ne me faisait pas bicher.
Que ça ne me rendait pas plus dur mais encore plus malléable, morne et
superficiel, tout ce lacanisme romanesque. À cause de son nom, je l’ai baptisé « the
burning bush ». Nous sourions de concert quand je mets l’ordre sur le chèque.
Quitte à aimer dire « je »,
mieux vaut s’imaginer en Laurence Sterne qu’en Philip Delerm, écrivant « Une dernière lampée de Shandy ». Virevolter avec son petit pronom
personnel autour d’une montagne romanesque plutôt que de vautrer son Moi dans
une bauge profonde de deux centimètres.
Qu’est-ce que le
lecteur, ces dernières années, en aura déduit, de toutes ses séances
pseudo-narratives non remboursées concernant un(e) inconnu (e) qu’ils ne connaîtront
jamais, taillées directement à même la pulpe des arbres ?
Que l’oisiveté est la
mère de tous les vices. Que décidément, même quand on se divertit, on s’emmerde
ferme à Paris. Qu’on ne fait jamais son deuil mais que c’est le deuil qui vous
fait ? Que papa et maman étaient peut-être imparfaits, carrément nocifs,
mais que, bordel, au final, on fait avec, quitte à devoir se casser au Brésil.
Un roman de survivant
quoi, destiné aux cultivés surarmés de l’hyper-urbanisme, aux riches
individualités rescapées de l’idéologie familiale. Moi contre tous, mais au final
un peu avec quand même.
Brautigan, lui, aimait
les arbres et les marais. Il écrivait :
« C’est gentil,
les mains. »
Sept (livres), c’est,
m’assure-t-on, le chiffre de la plénitude (à moi, sagesse !). C’est aussi celui
qui permet de mesurer la vraie place qu’on occupe dans le landerneau français.
Généralement, quand on vous invite à un salon, on vous met sous l’escalier. Ou
on vous coince entre Agnès Soral et Mylène "Fantomas" Demongeot, ce qui vous permet d’apprécier
par procuration les vicissitudes de la popularité.
C’est toujours mieux
qu’être entre les flûtes de Champagne d’Amélie et un auto-fictif qui a beaucoup
vécu, alors que vous, vous avez beaucoup rêvé.
Il faut faire des
choix dans la vie. Entre la calvitie d’un John Barth et la densité du brushing
de Stéphane Plaza, l’oeil de Cyclope rotatif d’un Jim Harrison et le chapeau
claque de la métaphysicienne belge des tubes creux, la courtoisie d’un
gentleman comme Richard Powers et la moue picrocholine de Josyane Savigneau -
la collection française ou étrangère de votre éditeur...
Ah non, là, vous ne pouvez pas choisir. Tu es français, Olivier ! Romancier au pays de la Sécu, de Zola et des anxiolytiques.
Ah non, là, vous ne pouvez pas choisir. Tu es français, Olivier ! Romancier au pays de la Sécu, de Zola et des anxiolytiques.
Chouette.
A ce propos, les
Goncourt, dont aujourd’hui le prix récompense les meilleurs écrivains urbains voire
franciliens du mois de septembre, étaient des naturalistes. C’est dans la foire
à bestiau qu’ils sont allés ramasser leur idée de médaille du concours livricole.
Interlude people :
grâce à ma tendresse pour l’imaginaire, j’ai rencontré Agnès Soral - c’était à
Toulon, en octobre 2015, à portée de canons de l’Arsenal (je sais, ça ressemble
au début d’une auto-fiction). Une fille qui, en plus d’être adorable, était
restée très belle et candide, bien qu’un peu malheureuse. Une héroïne à la
Djian, aussi écorchée qu’une pine de dauphin, et dieu sait quel respect j’ai
pour ces mammifères. Elle aussi avait souffert, manifestement, mais c’est sur
son frère qu’elle avait écrit un bouquin. Un bel exemple d’altruisme dont tout écrivain
auto-français devrait s’inspirer au lieu de se contenter de pousser de la scène
tous les autres personnages & comédiens en leur glissant dans l’oreille :
« Et tchao, pantins ! »
De toutes façons, nous
finirons tous dans les mêmes bacs à soldes, avec des essais pleurant la noyade
du dernier ours blanc. Alors, pourquoi, s’emmerder à dire « il ».
Autant dire « je », balancer la purée et en finir.
Une bonne fois pour
toutes avec la fiction et ses déformations. Jadis, on célébrait les difformités,
les exceptions, les cas étranges, aujourd’hui par crainte de se perdre ou de
perdre du temps, on célèbre la norme et la pertinence, le parler vrai, le vivre
ensemble, les infinitives figées d’une action hypothétique. Le commun dans le
singulier, et non plus l’inverse.
On est passé de Todd
Browning aux Bogdanov. De Witkin à Depardon et de Jesus Franco aux frères
Dardenne. Il y a de la place pour tout dans l’art, entends-je.
Certes. Mais ce n’est
pas à moi qu’il faut le dire.
D’ailleurs je n’ai
rien contre les Bogdanov. C’est grâce à « Temps X » que j’ai découvert
l’existence d’une Quatrième dimension. Rod Sterling, Carpenter, Kubrick, tous
portant fièrement l’étendard de celle qui survit toujours aux trois premières.
Il serait quand même plus adapté de voir le 20 heures présenté par le binôme
micromacromégalite, en lieu et place de Laurent Delahousse, qui porte bien son
nom, tant on a l’impression en le regardant qu’on nous a emballé toutes les
merdes du monde dans du papier cadeau. Je me permets de dire « je » :
vous avez l’habitude. J’ai 44 ans et je préférais encore Roger Gickel : au
moins lui ne faisait pas semblant et, en le voyant arriver, on savait tout de
suite à quoi s’en tenir.
Igor et Grichka, ça
vaut bien un Mourousi et une Marie-Laure Augry en cuir SM. C’était le bon
temps. Le temps où on inventait, où tout était bizarre, où même les gens du
JT se déguisaient en personnages et où on se fendait la poire à les écouter débiter
l’actualité d’un air laxiste.
Donc, j’emmerde la
littérature française et me permets, ici, à l’instant, de caler. Ben ouais. J’écris
comme un mioche, et je n’ai pas l’habitude de raconter ma vie selon les normes
HQE de la construction contemporaine. Je ne suis pas foutu d’écrire un script.
D’ailleurs je n’y aspire pas.
Et puis après tout, la
panne de l’écrivain, c’est vraisemblable non ? C’est même devenu une
valeur sûre, parmi tous les sujets traités par ceux qui n’ont rien à dire.
Moi si.
Permettez-moi donc,
une fois n’est pas coutume, d’emmerder la littérature française. L’État français,
pourtant si soucieux du bien-être de ses concitoyens, n’a jamais eu l’idée d’inventer
(vous me direz, ce n’est pas son rôle) une sorte de machine à compter les « je »
dans un roman - au dessus d’un certain nombre, le dossier serait communiqué à
la DDASS ou au ministère de la Santé pour en jauger le degré délétère et, si
besoin, lui infliger une taxe non à 5,5 mais à 10, histoire de le dédommager des
frais médicaux subséquents & induits. On appellerait ça « taxe de
mornitude compensatoire » ou « impôt sur l’infortune ».
Et quand je dis « je »,
c’est une façon de désigner le « moi » sans jeu, le « je »
vrai de la confidence, entre amis qui ne se rencontreront jamais, sinon quelque
part à travers les mornes plaines d’une certaine conception narrative en forme
d’Hexagone - l’Hexagone étant la forme qu’on donne à la plupart des parcs pour
enfants, à destination des parents qui voient d’un mauvais œil les bruyants débordements
du jeune âge.
L’innocence. L’ultime
opus de l’écrivain Christinangot se conclura un jour par ces mots que se
partagera la critique :
« En fait j’aimais
papa mon père je l’aimais il m’a jamais touchée. »
Un salutaire retour à
la fiction serait ainsi opérée. Le subterfuge postmoderne révélé. Mais le
doute à jamais subsisterait.
Y a-t-il eu, ou non,
jambon ?
Bigre. Voilà qui
donnerait un os à ronger à tous les zélotes de la tombée des masques.
Mais la vie, me dit-on ?
La vie, Olivier !
La vie, elle vous
ruisselle entre les doigts tout comme ces pages pro-fiction vous tiennent entre les mains. L’existence ne suit pas bêtement les lignes qui sillonnent vos paumes,
chers compatriotes, et il n’est pas impossible que la plus authentique, totale,
pure autofiction (si tant est qu’il s’agisse là de sa motivation) relève tout
autant du surnaturel et de dark fantasy que la célèbre trilogie hobbit du plus
fameux des linguistes anglo-sud-africains. La fable est partout ; partant, la réalité
s’est forcément glissée quelque part.
Les « je » d’un
Harrison - ceux d’un Banks ou d’un David Foster Wallace - vaudront,
narrativement parlant, toujours un milliard des « ils » d’un D’Ormesson,
d’un Mussot ou d’un Lévi.
A ce propos, j’ai également
croisé Guillaume Mussot à un festival lyonnais nommé « Quais du Polar ».
Il m’avait lui aussi donné l’impression d’être un chic type, honnête et sincère
dans sa démarche. Un gars qui sait rester à sa place. En haut des podiums et
loin du ring.
Ce n’est pas moi qui
le dit, c’est eux.
On raconte aussi qu’avec
le Big Bang, comme à Los Angeles, le roman d’hypermarché se détachera
prochainement du continent littéraire. Que l’ex péninsule sera nommée « Nouvelle
Suisse », un vrai paradis fiscal pour contre-révolutionnaires.
Ce que j’en pense, c’est
que la seule hiérarchie unanimement pratiquée ici-bas (scoop !), est celle
des ventes : l’argumentaire étant que plus un livre est lu, meilleur il
doit être, avec un peu de chance. Alors je me mets à la place des quelques
chanceux qui nous observent par delà les épais nuages du box office, au nirvana
repu des tauliers de l’Edistat : pourquoi diantre se faire chier à creuser ou
à épaissir nos personnages voire, pire, à inventer quelque idiosyncrasie
linguistique ou narrative ? Regardez-les, là-bas, ces pauvres bougres d’écrivaillons,
qu’est-ce qu’ils ont trouvé, à force de touiller leur propre merde, de jouer
les égoutiers du dimanche ?
Du Madrange* un peu
bleui.
Évidemment cette image
est fictive : tout le monde sait que Christine vend des tas de livres, y
compris à des lectrices musulmanes. Qu’elle le mérite et le public français
aussi.
Une question de goût,
somme toute. D’amour du nitrate.
La nécrophagie n’est
pas la plus dangereuse des paraphilies, en terme de paralittérature.
De tout temps,
dira-t-on, l’être humain a été captivé par sa propre image.
Même Cheetah, devant
son miroir de plain-pied, faisait des galipettes pour s’impressionner lui-même.
Se regarder, c’est s’aimer un peu, ou bien se détester un peu trop.
Il n’empêche qu’avec
tout ça il n’y a, sur le verre, en dehors de son propre reflet, plus beaucoup
de place pour le reste. Les ombres fugitives, ou les subtiles variations de
lumière... Les craquements du plancher, à l’étage supérieur, ou ces étranges
borborygmes montant de la cave. La vapeur d’un bateau qui traverse votre fenêtre,
le lointain gémissement de la corne de brume.
Ce qui est génial avec
l’autofiction, c’est que même quand tout s’éteint, on peut continuer à se
mater.
"Narcissisme" selon le
thérapeute : fascination haineuse de soi. Difficulté à voir l’autre, le différent,
comme être autonome et singulier ne partageant pas vos griefs, vos opinions et
vos préoccupations...
Et quand je dis l’autre,
je ne pense pas forcément à Stéphane Plaza.
Je ne peux pas m’empêcher
de penser, aussi, que tous les auto-fictifs étaient des enfants auxquels on a
trop crié de ranger leur chambre. Ou toute la maisonnée. Et qui, avec le temps,
ont fini par oublier qu’à l’extérieur, tout le monde s’en foutait, qu’ils l’aient
ou non rangée.
À part, peut-être,
celles et ceux que personne ne faisait jamais chier avec ça.
Dans quelle maison
qu’elle débarquât, dans quel pays qu’elle atterrît, Christine, passé le seuil
de l’entrée, avait toujours ces mêmes mots :
- Où est-ce que je
Le mets ?
- Ton barda ?
- Ben mon Moi.
- Je sais pas
Christine... Dans un placard !
- Y a plus de
place, dans les placards. »
Et c’est ainsi qu’Il
se retrouva dans un livre.
Dieu faites qu’un
esprit brillant invente bientôt une valise à roulette pour les esprits
immobiles.
Autant le dire tout de
suite : je soupçonne le critique de vouloir ranger la chambre de l’auteur à
sa place, rien que pour voir ce que ça fait.
D’un autre côté, je ne
connais rien à l’autofiction, ou pas grand chose. Mais rien que le nom m’énerve.
* J’ai vérifié, la
fameuse fabrique industrielle de charcuterie limougeaude existait déjà à l’époque
de la « Semaine de vacances » évoquée par Christinangot. Mais son
slogan n’était pas encore « C’est si tentant de se laisser tenter ».
Le plus honteux dans tout ça, étant probablement que Christine a oublié de préciser
la marque.
Vacances du je, également :
en quittant Paris pour la province, Christinangot avait pourtant fait un timide
pas vers la fiction et la troisième personne. Puis, patatras, alors qu’elle
croyait se barrer au Brésil, la voilà qui retourne à l’incestueux en racontant
une liaison non livresque avec Livres Hebdo.
L’inceste éditorial
francilien est une phobie du bâtard et du lointain. La question la plus
terrible, affreuse, qui puisse venir à la bouche de cette joyeuse famille,
surprise au beau milieu de ses rôties et ronds de serviette est :
« Mais qui frappe à la porte ? »
Et pourtant, en
France, il y a aussi la postmoderne Céline Minard, l’autofictif factice Eric Chevillard, Stéphane
Audeguy, qui met du « il » dans ses « je » et, alléluia,
des nuages dans ses théories, feu Gabrielle Wittkop, grande réjuvénératrice de
cadavres, et les deux Philippe, Beck l’opaque et Vasset l’inconditionnel de la
fiction à l'air libre, Tanguy Viel (un fan du "Limier" ne peut pas ne pas avoir du chien), le post-exotique Volodine, le jubilatoire Christian Prigent et l'oubliée Hélène Bessette - des gens qui adorent raconter avec ferveur et hauteur ce qu’ils n’ont
pas vécu, ou pas vraiment. Des tas de types et de nanas qui savent quand
baisser le volume de leur être-là pour tout faire éclater quand on s’y attend
le moins. Des as de l’halogène, des disjoncteurs différentiels. Toujours
enclins à jouer avec le variateur, voire à provoquer un court-jus au moment où
on allait enfin savoir qui se trouvait dans la chambre de maman. Ce ne sont pas
mes univers que j’aperçois à travers leur trou de serrures, mais ce sont des
univers. Donc tout n’est pas complètement foutu.
Ajoutons à ces traîtres
à la Verroterie nationale quelques postmodernistes égarés en rase campagne,
handicapés par le poids de leur cervelle et de leurs propres béquilles, deux ou
trois encyclopédistes romanesques, des anticipateurs comme Volodine, Dantec et
quelques étourdis cérébralement incapables de différencier le « Il »
du « Je », tant ils sont étrangers à eux-mêmes.
Dans le lot, il
manquerait peut-être bien un comique. Mais il y a déjà Rémi Gaillard sur YT. « C’est
en faisant n’importe quoi qu’on devient n’importe qui » y prônait cet
humoriste montpelliérain.
Je ne me sens
nullement concerné.
Mais Christine Angot,
probablement.
Il y aussi, sur sa page wikipédia, haut lieu
de la fiction contemporaine, une image radieuse de lui (pas d’elle) portant un
tee-shirt affirmant « J’emmerde la télé ».
C’est un tout autre débat.
Quoi que.
Que m’a fait Busnel ?
Rien. Et, à sa décharge, il n’est pas toujours facile d’animer des émissions
littéraires en essayant de parler si peu de littérature. Un jour, au train où
vont les choses, il y a fort à parier que Michel Cymes n’osera plus prononcer
un seul terme spécifique à la discipline qu’il exerce, de peur de choquer le
grand public. Eh oui. C’est à ce prix qu’on vend des livres en Europe.
Ecran sans cran ;
laid-cran, dirait Lacan : Paul Mac Carthy y devient un plug anal en forme
de sapin de Noël, Hirst un crâne en diamant et Koons un ballon rempli d’hélium
(ce qu’il a toujours été): un événement sociétal ou, sinon, une incongruité
morale qui ne vaut pas la salive qu’on lui consacre. On se croirait dans les
premières pages de La Carte et le territoire - livre qui a l’honnêteté de rimer avec
comptoir. Mais le langage de l’œuvre, la manière qu’ont ses géniteurs de
raconter quelque chose à travers elle, on s’en tamponne ; le miroir est déjà
plein. Tout comme ses écrivains, notre monde est si fasciné par lui-même qu’il
s’est mis à loucher ad nauseam sur ses plus gros traits. Le mot d’ordre de la
prochaine révolution culturelle sera :
« Vive la
presbytie. »
Ou :
« Amenez-moi
donc un télescope !»
Sur la quatrième de
couv’ des romans américains, il nous arrive régulièrement de lire ce message
particulièrement cryptique :
« Une peinture féroce
et sans concession de l’Amérique. »
Il faudra un jour, je
le proclame, rechercher les coupables. Désigner une Sarraute, Duras ou un
Robbe-Grillet (carbonisé, comme son nom l’indique, par la forme), épargner un Pérec
ou un Pinget, réhabiliter l’oulipisme de Roubaud, le faulknerisme de Julien Gracq ou le lyrisme de Joseph
Delteil, remettre un peu de désordre et de foutraque dans tout ce rayon moisi
et pétrifié par son propre immobilisme. Tant de prix Goncourt, mes chers amis,
ont d’ores et déjà sombré dans l’oubli !
Mais pas encore assez
de Renaudot et de Médicis. Les vaches du Salon de l’agriculture ne sont pas les
bestioles les plus intéressantes. De loin préférons le mouton à trois pattes
et, surtout, ne m’emmerdez pas pour autant avec la question du nucléaire.
Qui a dit que l’homme était
fait pour durer ?
Qui ?
Même Butor a fini par
mourir et, que nos enfants le veuillent ou non, il faudra bien s’éteindre un
beau matin avant les ammonites. J’ose espérer qu’il en ira de même avec les
rayons radioactifs de tous les Lidl de la culture. Qu’un jour les lecteurs
auront fini par les déserter tout à fait pour se remettre à arpenter, en solo
et sans boussole, les bouquinistes en quête de ce pays rare qu’on nommait
jadis, et sans fard, « Littérature » (oui, je sacralise) ; d’un
nouveau style français qui ne soit pas en forme d’hexagone, mais sans limite
visible ni frontières prédéfinies et qu’importe, alors, que son auteur soit
mort, désuet ou oublié, haïtien ou francophone, que l’épaisseur de poussière
qui le recouvre soit inversement proportionnelle à celle de son pitch... Alors,
soit, je rêve, je périme, mais, après tout, c’est mon boulot, et c’est ma
nature.
Chaque écrivain, de
Mussot à Angot, s’est subtilement colleté à ce rêve d’éternité, bien qu’il l’ait
parfois perdu sur les plateaux. Les véritables communions avec le lecteur se
font dans le silence d’une chambre à coucher ou d’une bibliothèque, et non
dans des confessionnaux sur-éclairés des plateaux télévisés. La lumière, encore.
Mais celle de la surexposition, qui
pâlit, estompe.
Toutes nos stars de la plume arborent le teint blême des détenus longue peine.
Imaginons plutôt la
longue rue pleine de néons d’une vieille cité européenne. C’est quelque part
entre un sex-shop et l’enseigne impersonnelle d’une chaîne de vêtements fabriqués
avec amour au Bangladesh qu’on trouvera les meilleures portes cochères.
Celles où s’étreignent
les amants les plus inconciliables, où se nouent les alliances les plus
contradictoires, du grotesque et du sublime. Rétablissons le paradoxe, mais pas
Victor Hugo - ses couilles surnagent avec celles de Rimbaud et Baudelaire dans
le bocal à formol des manuels scolaires.
Quelles fleurs vénéneuses
et nauséabondes, je vous le demande, peuvent encore pousser sur la moquette élimée
des Fnac de France et de Navarre ?
Laissons donc, chers
compatriotes, tranquillement crever le rayon français ; notre littérature,
elle, n’en sera que plus vivace.
Il est vrai que n’en
vivant pas, je ne risque pas grand chose.
Quoi ? Qu’un
petit éditeur kamikaze dégote un jour un de mes textes et le balance aussi vite
que possible aux yeux de quelques-uns avant de fermer boutique ? Qu’un
blog ou, pire, qu’un média officiel n’évoquent fugacement à la fois ses
apparition et disparition prochaines ?
Affreuse perspective !
Même si j’ai beaucoup de
respect pour les comètes.
Le concours de
permanence auquel se livrent les gros éditeurs a pour corollaire l’absence de
stocks des gros commerçants. À chaque année sa Nothomb, son Angot, et une plaque funéraire
de plus à fixer sur la pierre de notre ancien fond.
Bientôt, il faudra
commander Shakespeare et Proust sur CDiscount, ou bien se contenter du
trente-cinquième ... (je vous laisse remplir) chez Decitre.
Le rayon étranger -
mais je ne suis pas jaloux - ne connaît pas les mêmes avanies (je n’ose
employer le terme « péripéties »). Il est riche de tout ce que ne
fournit pas son rayon voisin, c’est à dire, à peu de choses près, de tout et de
tout ce que ce dernier pouvait offrir jusqu’au mitan du siècle précédent. Les
romanciers étrangers ne s’en cachent pas et jusqu’aux plus importants se
revendiquent régulièrement de ces lointains aïeux français dont ils ont,
souvent faute de mieux, pris la place. On y trouve, à simplement les effeuiller d’un doigt énamouré, de l’inventif,
du sensible, de l’écho, de la résonance, et, notamment, cette notion qu’ont
depuis longtemps éradiquée les normes européennes : l’exotisme.
Cette manière étrangère
d’aborder sa propre culture. C’est l’objectif que je me fixe pour les décennies
à venir, et que je ne tiendrais sans doute pas : restaurer un certain
exotisme français. Réveiller
les mânes de notre possible imaginaire commun. Devenir le Michel Houellebecq du
passé mais sans l’aide de Wikipédia, de Zemmour et des sociologues. Par la
seule force de la volonté et d’une sorte de télékinésie. Communiquer avec les
morts, afin qu’ils nous montrent la voie à suivre. Le terrain vague propice à
un nouveau campement.
Heureusement, on
trouve encore certains de leurs livres, à ces ancêtres communs. Grasset a réédité
Delteil, son « Jésus 2 » (1947), aujourd’hui, ressemblerait presque à
un Jésus 3 tant il paraît
déjà déplacé, anachronique, tellement en avance.
Ah bon, s’extasie le
jeune lecteur qui avait cru acheter Delterme, les écrivains français ont donc
de nouveau un style ? Ils ne s’expriment donc pas tous comme des notices de robots ménagers,
de ce style plat et neutre (« sec, incisif, et sans concession ») qu’affectionnent
ceux qui aiment que l’auteur leur parle comme à un ami benêt ?
C’est nouveau, ce délire
?
Non, c’est ancien. Et
cela relève désormais de l’archéologie. Lisant Scarron, l’ex de Mme de
Maintenon, on comprend mieux qu’il y ait eu Sterne, puis Diderot, puis Calvino, Pynchon, Barthelme et Coover, et, plus récemment, Delillo, Vollmann ou David
Foster Wallace. On comprend mieux qu’à l’ère du soupçon dont, chez nous,
parlait en connaissance de cause Nathalie Sarraute, a succédé, là-bas, celle d’une
reprise de confiance en la fiction, fût-elle désespérée.
Leur salut est venu du
désespoir de connaître l’autre et d’inventer de nouveaux mondes, choses a priori
impossible. En écrivant « Pourquoi sommes-nous pauvres ? » William
Vollmann a fait davantage pour, sinon les pauvres, la littérature, que les œuvres
complètes de Modiano, Emmanuel Carrère et Jardin. Il a fait un pari. Faire de la littérature
avec du journalisme, et non l’inverse. L’on pourrait en dire autant de Pedro Rosa Mendes (il faut gober "Baie des tigres"), Roberto Bolano (dévorer "2666 âmes"), Denis
Johnson (siroter "Des étoiles à midi") ou (tout sniffer) de Hunter Thompson.
Ce sont un peu les XXI
du roman contemporain. Pour le reste, on oscille entre le Nouveau détective et le JDD.
Aujourd’hui, Alexandre
Jardin est toujours actif - mais dans la réalité. Lui au moins a sauté le pas.
Je l’avais interviewé
il y a quinze ans à l’occasion de la sortie de son film et je le déclare sans
ironie aucune : c’est un type bien et un mauvais cinéaste. Un vivant. Un iconoclaste qui se fout
qu’on le prenne pour tel. Un fana de la vie qui s’est enfin affranchi du carcan de la
littérature française. Ou plutôt qui l’a poussée dans ses derniers
retranchements : incorporer cette réalité qui l’obnubilait tant (je n’ai
pas dit « ce réel »).
Tous n’ont pas son énergie,
qui se contentent d’écrire des pamphlets en attendant bêtement d’apercevoir le locus
amoenus où planter leurs propres sardines.
Mais d’autres, hélas,
persistent à jouer avec leur plume maligne les petits reporters ou les trolls
du fait divers. Parce qu’ils auront un jour fichu un pied dans un tribunal.
Non qu’ils se soient pour autant imaginés à la place de la star trucidée, du
personnage historique suicidé, du grand homme ou de la petite femme HLM ou l’inverse ;
dans le meilleur des cas, ils se sont simplement imaginé eux-mêmes jouant cet autre qui n’était pas eux, et le résultat, dans la glace, a été à la hauteur de
leurs espérances.
Mais voilà qu’on joue
les moralistes. Qu’on discrimine. Qu’on établit des hiérarchies sans posséder
soi-même son propre bureau dans l’organigramme ! Qu’on n'a même jamais fichu
le début d’un orteil dans un TGI !
Eh bien, après celle
de l’échafaudage imaginaire, il s’agit peut-être d’une autre perspective, tiens :
ne pas craindre d’exposer son jugement, sans latche ou auto-censure, quitte à se le recevoir un jour dans la figure.
Condamner à mort une véritable gangrène éditoriale.
Faire de la fiction en
moraliste - car il y a toujours une morale dans l’histoire, qu’on le veuille ou
non, la déclare ou la présuppose -, se planter, prendre des risques. Il faut
reconnaître à notre Michel international une certaine dose de courage à
exprimer sa propre vision de l’islam. Pour une fois qu’un écrivain ne cède
pas au cynisme qui consiste à ne rien dire pour espérer plaire à tout le
monde... Bah. Mieux vaut une charge contre la France des colonies, ça sonnera
toujours plus juste.
Être aimé : la
tragédie des actuels romanciers français ?
Le fantasme secret de
feu Angelo Rinaldi ?
Où est-il, ce lait
rare, nous écrierions-nous avec pompe, qui saura les sevrer ? Dans le
frigo des idéologies défuntes ou encore en incubation, probablement. Ou dans le
rayon coloré des littérateurs voisins. Des maîtres du polar et des auteurs de
BD et romans graphiques. Des séries TV qui leur ont tout piqué - le matériau était
sans doute par trop facile à piocher.
Il est curieux de voir
l’intérêt que la plupart des romanciers français actuels portent au lieu de leur
naissance. Non par simple nostalgie d’une enfance à la Bazin ou à la Colette. J’y
vois davantage une sorte de repli fœtal après quelque débâcle narrative intérieure.
Une autre manière d’évoquer avec des amis virtuels cette époque bénie où l’existence
ne leur avait pas flanqué entre les pattes ce vilain stylo, cette méchante
petite aptitude, chatouilleuse plume...
Où vivre sa propre
existence suffisait, sans qu’on ait besoin de la conceptualiser et d’en faire
des pages. D’en soutirer quelque pécule, à intervalle régulier. Une sorte d’innocence,
là encore. On revoit le nom sur la plaque d’émail au coin de la rue, le chiffre
sur la façade ou sur la grille, le bois écaillé de ces vieilles fenêtres
condamnées, le râteau tordu de l’antenne télé du voisin, l’ex cheminée forcément
branlante, et on se dit à soi-même :
C’est ainsi là que
je vivais.
À l’époque où je
vivais.
Romanciers patriotes,
aurait fulminé Donatien, qu’attendez-vous pour vous remettre à bramer ? À
forniquer avec l’interdit ou l’improbable ! À accepter de meubler différemment
cette prison dans laquelle vous vous êtes vous-mêmes embastillés, en laissant à
d’autres nations que la vôtre le soin de mener la Révolution ? Putain, brûlez-nous ces phrases Ikea, nom de dieu. Mettez-y un peu de merde et de
semence, mais pas que. Du rouge et pas du gris. Donnez-nous à voir non pas ce
que vous imaginiez être le visage d’un lecteur, c’est à dire le vôtre, mais l’ombre
maligne, bestiale, taurine, que notre ombre à tous projette sur les murs du grand cachot ! Fouettez le sens commun, la tiédeur médiatique,
faites-la saigner, rendre tripes et boyaux. Déguisez-vous en crapauds non plus
en singes, n’écrivez plus du bout des lèvres, enfoncez-vous le crayon dans le
fondement même de notre civilisation, quitte à nous percer le cœur, les yeux
et les tympans. Le ridicule ne tue plus, depuis que vous en avait fait un
genre.
Bref entonnez avec
moi, a cappella :
« Ne parlez plus
de ce qui pourrait intéresser.
Abandonnez les sujets, les plots, les scoops, les splash et les pitchs, les
petits et grands dossiers de ce que vous pensiez être l’humanité ; soyez
votre propre criminel, et non notre propre juge et avocat. Laissez le temps
seul vous introniser. Ne guillotinez point maître Busnel, mais songez, s’il vous plaît,
à le décoiffer, quitte à l’asperger de nos chiasmes, le gaver de tropes et de figures de
style, de sous-courants littéraires et de théories narratives, de fantasmes et
de hantises non capillaires, avant d’aller planquer le François sous sa table
basse et lui sauter dessus à pieds joints comme s’il s’agissait d’une
personnification de l’audimat. Pétez-le ce plancher de verre romanesque ! »
Au moins, le public, intrigué au début, aura-t-il eu un aperçu terrifiant de ce qu’était cette matière dingue et fuligineuse nommée littérature. Et saura dorénavant qu’il y eut deux choses distinctes :
Au moins, le public, intrigué au début, aura-t-il eu un aperçu terrifiant de ce qu’était cette matière dingue et fuligineuse nommée littérature. Et saura dorénavant qu’il y eut deux choses distinctes :
la littérature, et le
monde.
Ce qui aura pour mérite de lui laisser l’alternative.
Celle dont, sans
doute, il bénéficiait naguère.
J’entends déjà ces
esprits empesés issus de l’universel reportage, en ces temps où l’on file le
Renaudot à des bouquins de journalisme...
J’entends déjà ces
esprits sérieux qu’aucune fantaisie n’inquiète et qu’aucun émoi n’ébranle s’il
n’est universel et possède a minima la circonférence de la planète : ce monde,
cher Olivier, est déjà saturé de fictions. Ce monde, sache-le, s’emplafonne à
domicile des séries à douze saisons, s’emmitoufle de cosplay et de gaming en réseau,
en plus d’aller honorer de façon aléatoire ce vieux pis-aller au web que constitue le
7e art. C’est pourquoi il aura besoin d’air pur, d’oxygène, d’un ciel réel.
D’un horizon.
De vérité.
Afin de disposer d’une
vision plus juste du monde et de devenir un bon citoyen.
Foutaises !
Autodafé !
La littérature ne
devrait pas être là pour le mener à l’isoloir. Lui permettre d’entrer en ONG ou
de plaider la cause des cucurbitacées. Elle devrait lui apprendre qu’il y a eu un
jour des hommes pourvus pour tout vêtement et toute préoccupation de leur seule
humanité, et que cela a suffi à l’engendrer. Il n’y a pas de littérature bio.
Et il ne devrait pas y
avoir de littérature auto-bio.
Il y a indubitablement
quelque chose de paradoxal à voir les grands éditeurs se morfondre sur la chute
des ventes de littérature française tout en veillant à ne pas dévier d’un poil
de leur ligne éditoriale. C’est ce qu’ailleurs on nomme la Stratégie du pire. Nos
lecteurs n’aiment pas. À la bonne heure, ces sagouins n’auront rien d’autre. On s’imagine les réponses que recevraient les
manuscrits d’un Absalom absalom ! (Gallimard avait bien flairé quelque chose, mais le bon sens
l’avait emporté) ou d’un Finnegans Wake de la part des ténors actuels de l’imprimatur... Ce n’est pas
pour rien, non plus, que notre Marcel national a fini par baptiser son roman À
la recherche du temps perdu (à
la Poste). Il est d’ailleurs mort avant de l’achever.
Mais tout est bien qui
finit bien !
Pour l’éditeur.
Quant au lecteur,
depuis, il pèlerine une fois l’an sur les lieux anonymes qui l’ont vu naître, en
pensant avoir piqué l’idée à Modiano.
Aux lecteurs,
précisément, mon Donatien portatif et 100% fictif de tout à l’heure leur aurait
probablement dit ceci :
« Je suis né le
23 mai 1972 à Calais. Il n’y avait pas encore de jungle, alors, mais déjà plus aucune usine de dentelle. Donc j’en ai tissé à ma façon. »
Sincèrement, on s’en
fout un peu non ?
Nelly Arcan, qui était
québécoise, en a crevé, aussi, de la littérature française. Elle détestait
qu’on dise qu’elle était une belle femme (elle fut mannequin avant de
raccrocher les robes et les gants) mais, bêtement, elle n’a pas pu s’empêcher
d’en parler dans ses romans.
Forcément, elle s’est
mise à tourner en rond.
Prisonnière des
glaces, belle ourse blanche sans fourrure coincée sur sa propre banquise.
C’est ça
l’autofiction : un piège à con.
Il faut avoir sous les
fesses un coussin bien rembourré pour s’y sentir à l’aise, sinon, la
conversation tourne à l’aigre et c’est le supplice du pal. Alors, bien sûr,
toute cette mixture à base de confidences et de mensonges, d’auteur et de
narrateur, de grands élans et de phrases courtes, de truismes et
d’arrangements, ça attire le chaland, le pervers et l’empathique, ça fédère, ça
crée du lien, plein d’amis Facebook et Meetic. C’est sérieux, souvent subtil,
mais ne cimente rien. Un de ses « romans », à Nelly Arcan, s’intitule À
Ciel Ouvert.
Elle y cherchait
probablement une bonne bouffée d’air.
Elle ne l’a pas
trouvée.
Point à la ligne.
Elle y habitait, sous
le pseudo transparent de Julie O’Brian, un loft luxueux tout en haut d’un gratte-ciel qui était
peut-être le même que celui de Christine et qui, par conséquent, n’était pas
encore assez haut.
Le récit commença par
un banale séance de bronzette et s’acheva par un suicide.
Méfiez-vous, en roman,
des entrées en matière trop ordinaires. Elles cachent souvent un affreux
désarroi.
« En espérant que
dans ce flou des lieux vous avez aperçu quelques belles scènes » me
souhaitait avec élégance sa dédicace, écrite un an avant sa mort.
C’est crétin. Elle
venait tout juste de passer à la troisième personne.
Et ne venez pas me
parler d’indélicatesse.
Ce que j’en dis, de
cette littérature française, qu’elle soit hexagonale ou étrangère, c’est
qu’elle est un fléau et une bouffeuse d’espoir qui, tout en périclitant, fait
lentement glisser la chose littéraire vers l’anodin.
Que ce n’est pas pour
rien que les fictions jubilatoires d’Henry Miller, Philip Roth ou Bukowski n’y
ont jamais été réduites. L’autofiction, c’est la fiction moins l’espoir d’en
faire. Le triomphe sarcastique de la réalité gobée pour telle.
Une autodestruction
peu romanesque. Une fuite de gaz égotiste, un monoxyde de soi qui, sous couvert
de thérapie, asphyxie tout ce qui n’est pas lui.
Rien n’interdit le
pessimisme, mais, de grâce, laissez un peu de place à ceux qui y croient.
Tout à l’heure, à la
radio, le livre « Réparer les vivants » a fait l’objet sur France
Info d’un passionnant reportage.
Sur la transplantation
cardiaque en France.
Avant cela, il y avait
eu la maladie d’Alzheimer, grâce à Annie Ernaux et Olivia Rosenthal.
On attend de pied
ferme un inédit de Joyce sur le botulisme.
« La phobie
administrative » selon Franz Anshel Kafka.
Cauchemar :
« William Faulkner, vous êtes venu ici nous parler des pauvres blancs, et de l’alcoolisme en général.
« William Faulkner, vous êtes venu ici nous parler des pauvres blancs, et de l’alcoolisme en général.
- En général.
- Et aussi du racisme.
C’est important, ça, le racisme.
- Effectivement.
- Le racisme dans le
Sud. Et, bien sûr, du vote républicain. Vous êtes déjà allé au Texas ?
- Nan, je préfère
arpenter Yoknapatawpha.
- C’est une réserve
indienne ?
- Nan.
- Ils boivent là-bas,
n’est-ce pas. C’est terrible. Connaissez-vous le taux de mortalité des Indiens
parqués, monsieur Faulkner ?
- Nan.
- Monsieur
Faulkner ? »
Finalement, non, ne
prohibons pas l’autofiction. Laissons en paix reposer Butor, Guibert et
Doubrovsky.
Parquons-là.
Dispatchons seulement
les romans qui lui sont acquis aux différents sujets qu’ils abordent avec
subtilité, aux rayons Santé ou Société : anorexie / éducation / ALD /
vieillesse / perte d’un proche / homosexualité / trains / page
blanche.
Dans cette période où
chacun semble chercher, pantelant, par désarroi et manque de temps, un mode
d’emploi clé en mains, comme si l’existence devait offrir la démontabilité d’un
(L)ego, je le dis haut et fort : il faut étoffer les rayonnages consacrés
à la vie pratique.
Nous laisserons le mot
de la fin à un autobiographe trop souvent cité mais qui, dans ses comédies, n’a
jamais prétendu se confondre avec lui-même ni avec sa propre buée : Woody
Allen.
L’extrait qui suit est
détourné d’un film.
Le titre, Whatever
works, résumerait assez bien
le cynisme, la flemme et le tragique manque d’ampleur de l’écriture
auto-fictive.
Au tout début du
métrage, le personnage principal, ancien mathématicien misanthrope et
désenchanté (je suis nul en math), quitte la terrasse du bar où il conversait avec ses vieux amis et
se tourne soudain vers le spectateur (ou est-ce le metteur en scène
lui-même ?) : « Si vous êtes
venu ici chercher quelque chose pour vous aider à vous sentir mieux, un
conseil : allez vous faire masser les pieds. »
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