Cendrillon

Cendrillon
« Fallen princess, CINDER », 2017, © Dina Goldstein. Avec l'aimable autorisation de l'artiste.

samedi 8 septembre 2018

ENQUÊTE

MAUVAIS GOÛT
Couleur caramel, parfum morgue : mais où est donc passé le E150D ?

© Photographie Chris Nielsen/ Flickr

Adieu Trésor goût chocolat noisette et autres jolies cannettes de Coca-Cola. Banni de Californie depuis 2012 après les plaintes d’une association de consommateurs alertant sur son potentiel cancérigène, le colorant caramel E150D disparaît peu à peu des étiquettes des céréales, sodas, sauces soja et autres whisky, cognac et bières ambrées auxquels il donnait sa fameuse, et envoûtante robe brune légèrement dorée.
Même au sein de l’Union européenne, qui fixait un seuil de toxicité bien moins important, et alors que Pepsi renâcle encore, Coca-Cola a peu à peu modifié sa recette, répétant que seuls les E150C (« caramel ammoniacal ») et 150D (« caramel au sulfite d’ammonium ») étaient en cause. Trop sympa. A la décharge de l’UE, celle-ci a quand même pris le soin de l’interdire dans nos cafés.
Ouf.
Sur le site du laboratoire Excell, basé à Mérignac, en Gironde, et chargé par les industriels de l’agro-alimentaire et les coopératives viticoles d’étudier la présence de contaminants, on trouve d’ailleurs ce « Focus » un brin alarmant voué à attirer leur attention : « Les caramels E150 C et D, particulièrement utilisés dans les colas (y compris dans la confiserie aromatisée au cola, type sucette et carambar NDLR) mais également dans de très nombreux produits alimentaires de consommation massive, utilisent des conditions de fabrication susceptibles de conduire à l’apparition de 4-MEI. Des études aux USA ont révélé le pouvoir d’augmenter certains cancers à forte dose chez le rat femelle et chez la souris des deux sexes. » 
Une question de cocktail
Selon un document officiel du Bureau de l'évaluation des dangers pour la santé environnementale de Californie, comité scientifique sis à Sacramento et lui aussi chargé d’évaluer les risques (mais juste pour les consommateurs californiens), ce composé 4-MEI, ou 4-méthylimidazole, se forme effectivement pendant la cuisson ou la torréfaction de ces deux additifs alimentaires, et a engendré, lors d’une exposition au long terme chez la souris et le rat, une augmentation des cas de cancers du... poumon. Ce qui a conduit les autorités à imposer à toute firme en faisant le commerce dans son État un étiquetage annonçant clairement la couleur. On comprend un peu mieux la réaction épidermique de Coca-Cola.
C’est d’ailleurs cette exposition chronique qui, dès 2016, inquiétait notre laboratoire français d’analyses agricoles, lequel poursuivait : « La situation est-elle dramatisée ? Peut-être si on se tient aux querelles d’expert sur le potentiel cancérigène de la 4-MEI au sens strict. Peut-être pas si on s’intéresse un peu plus sérieusement aux effets synergiques des contaminants des Caramels reconnus comme sérieusement ou potentiellement cancérigènes et qui agissent bien évidemment de concert et pas de manière isolée…Il est de nos jours encore incroyable de s’intéresser à l’action d’une molécule prise isolément alors qu’elle se trouve dans un environnement complexe qui augmente souvent considérablement les effets de très faibles quantités jugées isolément inoffensives. »
Contactée en février 2016 à propos de cette dangereuse synergie, un des plus importants fabricants de caramel au monde, la firme Sethness-Roquette, fruit de la fusion (non toxique) d’un géant de l’Iowa et d’une société basée dans le Pas-de-Calais (cocorico), et implantée en Inde, en Chine, aux Etats-Unis et à... Merville (59, Hauts-de-France) nous a gentiment réorientés vers le Syndicat Français des Fabricants de Caramels Colorants (SFFC).
Le SFFC, lui, s’est borné à répondre que « les fabricants de caramels colorants ne peuvent fournir des éléments sur des produits qui ne contiennent pas de caramel colorant… (pain, café…) ». Il ajoute que « l’Agence européenne de sécurité sanitaire des aliments a réaffirmé en mars 2011 que les caramels colorants n’étaient pas cancérigènes ». Étonnant, d’autant qu’à l’en croire, « les teneurs maximales fixées pour le 4-MEI dans les spécifications pour ces deux caramels colorants ont donc été considérées comme suffisamment protectrices » : protectrices de quoi, dans ce cas ?
Le SFFC, toujours rassurant, rappelle qu’il y a « même eu un durcissement de la législation » européenne en ce qui les concerne, et que « les fabricants de caramels colorants respectent parfaitement les limites en 4MEI et se situent très largement en dessous » du seuil autorisé de 200 mg par kg de colorant pour le E150C et 250 mg par kg de colorant pour le E150D, ce qui ne veut rien dire pour le consommateur. 
Querelle de chiffres
Après vérifications, il s’avère qu’en 2011, après avoir de nouveau abaissé cette Dose journalière admissible (DJA) individuelle de E150C à 100 mg/kg (et non à 200), et conclu en 2012 « que les jeunes enfants et les adultes risquaient toujours de dépasser la DJA » de ce « caramel ammoniacal », la Commission européenne, sous le patronage de José Manuel Baroso, a finalement rétropédalé en 2013 en excluant de cette directive les « boissons maltées », cette fois pour tous les colorants caramels.
Au passage, le syndicat des caramélisateurs  nous aura tout de même offert cette petite précision (ou « tuyau ») : « Il nous semble important de préciser que le 4 MEI se forme naturellement au cours du process de fabrication traditionnel du type cuisson, caramélisation, rôtisserie ou grillade et qu’à ce titre certains produits obtenus à partir de ces procédés peuvent contenir des traces de 4-MEI (pain, café, viande grillée …). » Ce qu’il nomme d’ailleurs « réaction de Gaillard ». Ah. Nos craintes concernant un possible effet cocktail étaient fondées, donc...
En revanche, tout en cherchant à savoir d’où vient cette information, le SFFC spécifie que « les fabricants de caramel n’utilisent pas d’éthanol dans la fabrication ». NOOO WAY ! Pour celles et ceux qui adorent les annuaires inversés, la question à mille francs, tournant autour d’un éventuel effet cocktail (sans jeu de mot) dans le fameux whisky-coca, était : « La présence d'éthanol dans certaines boissons peut-elle favoriser, voire accroître la toxicité du contaminant 4-methylimidazole ? » Ces deux molécules se retrouvant alors mélangés non pendant la fabrication, mais bien dans la bouteille, ou la flasque...
Sur ce dernier point, la très sérieuse revue scientifique américaine PLOSone soufflait elle aussi le chaud et le froid. La voici en anglais - à vous de traduire, mais à nous de souligner : «  As shown here, a variety of beverages contain 4-MEI at levels of public health concern and individuals may consume more than one beverage type. Additional exposure pathways may include other beverages like beer and blended whiskey ; foods like baked goods (pâtisseries NDLR), gravies (jus de viande NDLR), and sauces ; and secondhand smoke(tabagisme passif NDLR). Another limitation was the lack of specific intake rates and consumption fractions for malt beverages (boissons maltées NDLR) and iced teas. »
Décidément très volatile, ce 4-MEI.
Revenons, dans la langue de Molière, sur l’excellent site du laboratoire de Mérignac : « Une étude anglaise a montré que tous produits confondus, la consommation journalière moyenne représentait 300 mg/jour/personne et pouvait atteindre 1200 mg/jour/personne selon le régime alimentaire…Les colorants à base de Caramel sont largement employés dans les sodas, la bière, les céréales, les sucreries, les sauces… Les colorants à base de Caramel sont également utilisés pour la coloration des spiritueux (cognac, rhum brandy, whisky…) ou la toxicité de leurs contaminants peut être fortement augmentée par leur teneur élevée en éthanol ; ces produits se retrouvent potentiellement aussi dans les spiritueux non colorés mais vieillis au contact de produits chauffés tel que le bois ou les boisés ! »
Ce qui est quand même beaucoup plus clair.
Et qui, in fine, nous ramène à la question liminaire : mais où est donc passé le E150D ?

PAR O.S. le 5/09/2018.

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