MAUVAIS GOÛT
Couleur caramel, parfum morgue : mais où est donc passé
le E150D ?

© Photographie Chris Nielsen/ Flickr
Adieu Trésor goût
chocolat noisette et autres jolies
cannettes de Coca-Cola. Banni de
Californie depuis 2012 après les plaintes d’une association de consommateurs
alertant sur son potentiel cancérigène, le colorant caramel E150D disparaît peu
à peu des étiquettes des céréales, sodas, sauces soja et autres whisky, cognac
et bières ambrées auxquels il donnait sa fameuse, et envoûtante robe brune
légèrement dorée. 
© Photographie Chris Nielsen/ Flickr
Même au sein de l’Union européenne, qui fixait un seuil de
toxicité bien moins important, et alors que Pepsi renâcle encore, Coca-Cola a
peu à peu modifié sa recette, répétant que seuls les E150C (« caramel
ammoniacal ») et 150D (« caramel au sulfite d’ammonium ») étaient
en cause. Trop sympa. A la décharge de l’UE, celle-ci a quand même pris le soin
de l’interdire dans nos cafés.
Ouf.
Ouf.
Sur le site du laboratoire Excell, basé à Mérignac, en
Gironde, et chargé par les industriels de l’agro-alimentaire et les
coopératives viticoles d’étudier la présence de contaminants, on trouve
d’ailleurs ce « Focus » un brin alarmant voué à attirer leur attention : « Les caramels E150 C
et D, particulièrement utilisés dans les colas (y compris dans la confiserie
aromatisée au cola, type sucette et carambar NDLR) mais également dans de très nombreux produits alimentaires de
consommation massive, utilisent des conditions de fabrication susceptibles de
conduire à l’apparition de 4-MEI. Des études aux USA ont révélé le pouvoir
d’augmenter certains cancers à forte dose chez le rat femelle et chez la souris
des deux sexes. »
Une question de cocktail
Une question de cocktail
Selon un document officiel du Bureau de l'évaluation des
dangers pour la santé environnementale de Californie, comité scientifique sis à
Sacramento et lui aussi chargé d’évaluer les risques (mais juste pour les
consommateurs californiens), ce composé 4-MEI, ou 4-méthylimidazole, se forme
effectivement pendant la cuisson ou la torréfaction de ces deux additifs
alimentaires, et a engendré, lors d’une exposition au long terme chez la souris
et le rat, une augmentation des cas de cancers du... poumon. Ce qui a conduit
les autorités à imposer à toute firme en faisant le commerce dans son État un
étiquetage annonçant clairement la couleur. On comprend un peu mieux la
réaction épidermique de Coca-Cola.
C’est d’ailleurs cette exposition chronique qui, dès 2016,
inquiétait notre laboratoire français d’analyses agricoles, lequel poursuivait
: « La situation est-elle dramatisée ? Peut-être si on se tient aux
querelles d’expert sur le potentiel cancérigène de la 4-MEI au sens strict.
Peut-être pas si on s’intéresse un peu plus sérieusement aux effets synergiques
des contaminants des Caramels reconnus comme sérieusement ou potentiellement
cancérigènes et qui agissent bien évidemment de concert et pas de manière
isolée…Il est de nos jours encore incroyable de s’intéresser à l’action d’une
molécule prise isolément alors qu’elle se trouve dans un environnement complexe
qui augmente souvent considérablement les effets de très faibles quantités
jugées isolément inoffensives. »
Contactée en février 2016 à propos de cette dangereuse
synergie, un des plus importants fabricants de caramel au monde, la firme
Sethness-Roquette, fruit de la fusion (non toxique) d’un géant de l’Iowa et
d’une société basée dans le Pas-de-Calais (cocorico), et implantée en Inde, en
Chine, aux Etats-Unis et à... Merville (59, Hauts-de-France) nous a gentiment
réorientés vers le Syndicat Français des Fabricants de Caramels Colorants
(SFFC).
Le SFFC, lui, s’est borné à répondre que « les
fabricants de caramels colorants ne peuvent fournir des éléments sur des
produits qui ne contiennent pas de caramel colorant… (pain, café…) ». Il
ajoute que « l’Agence européenne de sécurité sanitaire des aliments
a réaffirmé en mars 2011 que les caramels colorants n’étaient pas
cancérigènes ». Étonnant, d’autant qu’à l’en croire, « les teneurs
maximales fixées pour le 4-MEI dans les spécifications pour ces deux caramels
colorants ont donc été considérées comme suffisamment protectrices » : protectrices de quoi, dans ce
cas ?
Le SFFC, toujours rassurant, rappelle qu’il y a « même
eu un durcissement de la législation » européenne en ce qui les concerne,
et que « les fabricants de caramels colorants respectent parfaitement les
limites en 4MEI et se situent très largement en dessous » du seuil autorisé de 200 mg par kg de colorant pour le E150C et 250 mg par kg de colorant
pour le E150D, ce qui ne veut rien dire pour le consommateur.
Querelle de chiffres
Querelle de chiffres
Après vérifications, il s’avère
qu’en 2011, après avoir de nouveau abaissé cette Dose journalière
admissible (DJA) individuelle de E150C à 100 mg/kg (et non à 200), et conclu en
2012 « que les jeunes enfants et les adultes risquaient toujours de
dépasser la DJA » de ce « caramel ammoniacal », la Commission
européenne, sous le patronage de José Manuel Baroso, a finalement rétropédalé
en 2013 en excluant de cette directive les « boissons maltées », cette
fois pour tous les colorants caramels.
Au passage, le syndicat
des caramélisateurs nous aura tout
de même offert cette petite précision (ou « tuyau ») : « Il nous semble
important de préciser que le 4 MEI se forme naturellement au cours du process
de fabrication traditionnel du type cuisson, caramélisation, rôtisserie ou
grillade et qu’à ce titre certains produits obtenus à partir de ces procédés peuvent
contenir des traces de 4-MEI (pain, café, viande grillée …). » Ce qu’il
nomme d’ailleurs « réaction de Gaillard ». Ah. Nos craintes
concernant un possible effet cocktail étaient fondées, donc...
En revanche, tout en cherchant à savoir d’où vient cette information,
le SFFC spécifie que « les fabricants de caramel n’utilisent pas d’éthanol
dans la fabrication ». NOOO WAY ! Pour celles et ceux qui adorent les
annuaires inversés, la question à mille francs, tournant autour d’un éventuel
effet cocktail (sans jeu de mot) dans le fameux whisky-coca, était :
« La présence d'éthanol dans certaines boissons peut-elle favoriser, voire
accroître la toxicité du contaminant 4-methylimidazole ? » Ces deux
molécules se retrouvant alors mélangés non pendant la fabrication, mais bien
dans la bouteille, ou la flasque...
Sur ce dernier point, la très sérieuse revue scientifique
américaine PLOSone soufflait elle aussi
le chaud et le froid. La voici en anglais - à vous de traduire, mais à nous de
souligner : « As shown here, a variety of beverages contain 4-MEI at
levels of public health concern and individuals may consume more than one
beverage type. Additional exposure pathways may include other beverages like
beer and blended whiskey ; foods like baked goods (pâtisseries NDLR), gravies (jus de viande NDLR), and sauces ; and secondhand smoke(tabagisme
passif NDLR). Another limitation was the
lack of specific intake rates and consumption fractions for malt beverages (boissons
maltées NDLR) and iced teas. »
Décidément très volatile, ce 4-MEI.
Revenons, dans la langue de Molière, sur l’excellent site du
laboratoire de Mérignac : « Une étude anglaise a montré que tous produits
confondus, la consommation journalière moyenne représentait 300
mg/jour/personne et pouvait atteindre 1200 mg/jour/personne selon le régime
alimentaire…Les colorants à base de Caramel sont largement employés dans les
sodas, la bière, les céréales, les sucreries, les sauces… Les colorants à base
de Caramel sont également utilisés pour la coloration des spiritueux (cognac,
rhum brandy, whisky…) ou la toxicité de leurs contaminants peut être fortement
augmentée par leur teneur élevée en éthanol ; ces produits se retrouvent
potentiellement aussi dans les spiritueux non colorés mais vieillis au contact
de produits chauffés tel que le bois ou les boisés ! »
Ce qui est quand même beaucoup plus clair.
Et qui, in fine, nous ramène à la question liminaire : mais où est
donc passé le E150D ?
PAR O.S. le 5/09/2018.
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