Rions ensemble (1) : une notice initialement prévue pour Le Dictionnaire de la mort (Larousse, coll. In Extenso, 2010)...
Mallarmé, Stéphane (1842-1898)
Il a perdu sa mère à cinq ans, sa sœur à treize, son fils à trente-sept et, tout au long de son oeuvre, n’a
cessé de rendre compte de l’absence. Dans les « Tombeaux » que
Stéphane Mallarmé dédiera à Baudelaire, Poe ou Verlaine, la mort n’est qu’un philtre d’or procurant une immortalité méritée à ceux que leurs pairs avaient
négligés. C’est un poète qui parle d’autres poètes, et qui se voit en eux, “tel
qu’en Lui-même enfin l’éternité le change”. Qui, parce que la mort le comprend
forcément, porte tout à la fois à Gautier et à celle-ci un toast funèbre
presque vengeur : “Ô de notre bonheur, toi, le fatal emblème !”. Mais dans Pour
un tombeau d’Anatole, c’est un père, qui en
poète, parle à sa souffrance. Tente de l’amadouer, de la mettre en forme, à
distance, pour la transformer en art. Mallarmé vient de perdre le petit “Tole”,
huit ans, des complications d’une crise de rhumatismes en péricardite. Cruellement, dans ces
notes restées fragmentaires, brisées, le motif de la présence physique a remplacé
celui de l’absence... Pour mieux la dire : “Tu peux avec tes petites mains
m’entraîner dans ta tombe”... “genoux, enfant / genoux - besoin” ressasse-t-il.
Là où la rose “absente de tout bouquet” était volontairement et esthétiquement
convoquée, où le “bibelot” était sciemment aboli, c’est un présent
définitivement lacunaire qui ne cesse de se rappeler à un père-poète
inconsolable, en tout cas incapable d’oublier “ce petit soi d’enfant”. Comme si
l’absence, à force d’être invoquée par l’artiste, s’était finalement manifestée
à l’homme dans sa forme la plus intense et la plus palpable. Dernier acte : le
poète et l’homme étant indissociables, il ne reste plus à Mallarmé qu’à
attendre, le “– temps que corps met à s’oblitérer en terre – (se confondre peu
à peu avec terre neutre aux vastes horizons), c’est alors qu’il lâche l’esprit
pur que / l’on fut”. Pourtant, le costume marin d’Anatole est vide. Jadis
idéale, mets recherché, l’essence, cet “esprit pur”, n’est plus qu’un défaut de
matière.
O. Saison
Bibl. : Maréchal B., Lecture de Mallarmé, José
Corti, 1985 * Davies G., Les Tombeaux de Mallarmé, José Corti, 1950
Voir aussi : Blanchot, Écrire mourir, Langue &
langage, Poe, Tombeau littéraire
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