Cendrillon

Cendrillon
« Fallen princess, CINDER », 2017, © Dina Goldstein. Avec l'aimable autorisation de l'artiste.

vendredi 30 décembre 2022

Iridescence majeure sur fragment de verre minuscule.
Le verre se morcelle, les bords s'émoussent, fondent et forment des îles, décuplant encore l'intensité concentrée sur le reflet.
C'est une irradiation glacée dont mon coeur est l'objet.
Quelle ombre se profile derrière le soleil qu'elle lève, intransigeante et impératrice, sur la glace quasi vierge de mes sentiments ?
Nous en viendrions à regretter les mornes silences de la longue nuit émotionnelle.
Nous qui souhaitions tant la déchirure de la plaie à vif, voici que la panique nous possède et nous enivre.
Nous sommes déjà saouls de ce nectar à peine tutoyé de la langue.
Le poison des vies descend en piqué tel l'aigle rose de tes membres sans sommeil.
Es-tu la fin d'un engourdissement ou la première et douce brûlure d'une nouvelle agonie ?
Il est un moment où les êtres n'ont plus de nom, où sur un humble prénom se greffent tous les coquillages de nos concrétions passées.
Où le moindre souvenir de geste s'arrache à la mémoire pour sans fin se métamorphoser en un monstre de beauté assoiffé de morsures et de drames.
Ce pays éphémère est le purgatoire où transitent en hurlant les âmes mortes avant de revenir à la vie.

Saint-Lager, le 25 juillet 2022.

mercredi 30 novembre 2022

C'est le bordel chez les anges. Le mari pleure, la femme se flagelle et les enfants paniquent. Les poubelles débordent et le chien attend depuis la veille devant sa gamelle. Les portes claquent et bruissent de murmures dont les plaintes assourdies terrorisent les tous petits. Que faire quand on ne croit plus en dieu ni aux exorcismes ?

Un silence funeste flotte chez les saisons. L'épouse s'y claquemure, la fille fuit dans les bras de Morphée que le mari, cantonné dans ses appartements, aimerait bien rejoindre lui aussi. Seulement il a un stylo, un cahier, de la peine, alors il écrit. Que faire quand on croit encore à la littérature ?

Trouvez-moi le fichu démon responsable de ce tapage ! Ramenez-le nous et remettez-lui en mains propres nos insomnies. Expliquez-lui que nous sommes humains, petits et sensibles malgré les apparences, et que nous ne tiendrons plus longtemps ainsi...

"Pardonnez cette intrusion au beau milieu de vos ruminations mélancoliques, je ne suis pas réellement cet Ennemi pour lequel on voudrait me faire passer ! Je ne conçois pas nos relations dans l'adversité. La qualité diabolique que l'on me prête est bien surannée ! Je préfère, pour tout avouer, semer le désarroi et l'immobilisme, l'anhédonie des Noël sans bougies et la morosité des dimanches. Pour la passion et toute question se rapportant à la quantité qu'on vous a insufflée, voyez avec mon binôme."

Dieu nous t'en supplions, entends notre plainte. Ne déduis rien de sa duplicité. Nous avons deux bras, deux mains, deux jambes et deux gonades mais un seul esprit pour embrasser les quatre directions cardinales que sont la CONFIANCE, la JOIE, l'ESPOIR et la SENSIBILITÉ. Par pitié délivre-nous du bal !

"Sur la tête d'Astarté, cet être-là me plaît ! Je m'en vais lui réserver une chambre où il sera au chaud et jamais à court d'idées. Je lui taillerai ses crayons moi-même et aiguiserai sa plume pour la garder légère. Je veux la voir grimper partout comme un lierre, s'immiscer dans les crevasses de leur carapace et lézarder l'édifice de la cave au grenier! Je ne crois pas au confort. Je ne suis pas l'ambassadeur suprême des sérénités, et je les adore trop pour les laisser pioncer. Ils auront tout le temps pour ça quand les vers leur attaqueront la cafetière. Pour l'heure, un double Espresso pour tout le monde ! Si besoin, j'ai encore plus fort en magasin : Valium, Tranxène et Théralène et, pourquoi pas, une corde et un pistolet !"

Dieu, Satan, il est vrai que nous avons souvent peur des feux que nous avons allumés. Nous mesurons l'acte à notre aune et minimisons à chaque fois la non proportionnalité du brasier. Nous sommes des enfants rieurs bardés d'explosifs et confondons régulièrement les adresses où déposer nos paquets. Nous sommes les irrécupérables du recyclage émotionnel, des excités du cardio, des dingos du carquois (oui, nous idolâtrons parfois Cupidon !). Accordez-nous une nuit simple et sans artifices, une nuit et une seule, et en échange, demain, nous vous promettons à tous deux que nous recommencerons à craindre, à gémir et à prier !

Saint-Lager, 16.10. 2022.

Non ce n'est pas le coeur ni un bout de cerveau. C'est un oeil. Le coeur est un oeil qui perçoit des choses à travers ses propres brumes, qui les fait surgir ou lentement paraître, puis les escamote après les avoir dotées de détails si nets et si purs que la réalité même n'aurait pu les concevoir. Cet oeil contient sa propre lumière et les choses qu'il voit ne projettent pas d'ombre ; elles rayonnent nuit et jour, parfois proches, parfois lointaines, laborieusement absentes.
C'est par cet oeil que tu m'es apparue. Vêtue et soudainement nue. Inouïe et familière. Comme si mon âme profonde avait vomi un fantôme qui s'était bêtement incarné là, devant moi. J'ai fermé la paupière, tu étais là - l'ai rouverte, tu étais là, sous des atours constamment différents, te détachant de ton propre sexe, comme coupée de ta propre histoire. Sans doute, tu n'étais plus exactement toi-même. Sans doute, tu vis se refléter sur mon regard une silhouette autre que la tienne et dont toi et moi ne connaissons ni le patronyme ni l'origine. Cet être anonyme est le bâtard le plus pur et le plus immaculé : nul ne l'a conçu, nul ne l'a engendré. Il est l'enfant de nos imperfections. Il n'a pas le souvenir du foutre, n'a pas connu de ventre et cependant, il ne peut vivre sans nous.
À mes yeux, ce bâtard est une femme. Aux tiens, un homme. Il se tient là, dans le coin de notre oeil, ne cille pas. Tant qu'il est là, il ne cille pas. S'il vient à mourir, une part non quantifiable de nos yeux respectifs s'éteindra avec lui : elle se vitrifiera, deviendra opaque, aveugle à elle-même, mendiant aux nouveaux avenirs quelque chose qu'elle ne se rappelle pas.
Pour l'heure, ton visage demeure. Il n'est pas la somme de tes traits, de tes mots, pas davantage que le parfum obsédant qui en émane ne provient intégralement d'un flacon. S'il venait à partir, je ne le retrouverai pas sur le plus séduisant des minois car la beauté que mon oeil lui trouve relève d'une éternité parallèle.
Ce visage est légèrement différent de celui que je retrouverai demain. Vivre en moi l'a déformé. A prélevé en toi quelque chose que tu ignores et ignoreras jusqu'à ta mort.
Il est merveilleux de toucher d'aussi près l'étrangeté du monde. T'embrassant, j'embrasse un nouveau genre d'inconnu : l'inconnu qui se trouvait en moi soulève d'un baiser celui que tu portais de ton côté.
Nous voudrions parfois qu'il desserre le poing et nous laisse respirer un peu, mais redoutons plus encore qu'il ne nous lâche pour de bon, tant nous craignons le néant neutre qui pourrait lui succéder ; sa prise, peut-être, gonflait aussi les poumons qu'il vidait.
Je vais désormais rejoindre les songes, mais il est un oeil qui ne se fermera pas.
Dans la nuit de mon âme vigilante, ce grand quelque chose qui te ressemble restera assise, prête à me sourire et à me chuchoter que tu existes.

Saint-Lager, 16.10.22.

samedi 12 novembre 2022

Femmes au foyer (II)

Ton tiroir à ton chevet est ton dernier jardin secret
Que tu rallumes chaque soir en éteignant ta chambrée
Contre toi ton mari ronfle, au loin tes enfants marmonnent
Tes pieds froids cherchent sous tes draps les tièdes étriers
Qu'un sursaut d'imaginaire leur tend d'un élan morne.

Dans un silence propice tu t'es mise à rêver
De lézardes, de failles et d'interstices qui débordent les tiens
La soie de ton pyjama déjà s'humecte pour le Grand Vizir
Cette tige exogène qui dans un instant peuplera ta corolle 
Et couronnera de sa coiffe ta volonté souveraine.

Il t'en reste si peu, et cet hommage rare
Tu n'entends pas le laisser passer, alors tu le sors, tu le prends
Le caresses, le lèches et l'approches encore
Du néant touffu dont l'ennui t'a creusé l'abdomen
Ta joue s'enfonce dans l'oreiller où s'étouffe ce cri

Qu'au matin de ta vie, jeune lionne, tu préférais faire retentir
La sueur de ton âme, il est vrai, était plus claire autrefois
Soeur jumelle des fontaines auxquelles buvaient les intrépides
Rarement avais-tu le temps de contempler ton reflet
Car les rides qui brouillaient ton minois perlaient de ton front

Et ces mains qui étreignaient tes épaules n'étaient pas les tiennes
Tout comme ces lèvres qui te dévoraient l'oreille
En t'arrosant de ces noms qu'aujourd'hui tu hais.
Désormais les flots en toi ne bouillonnent qu'en casserole
Emblème ergonomique du nouveau rôle que le mâle monde t'a assigné

Et dans la pénombre de la geôle qu'assidûment tu pratiques
Entourée d'objets secs réservant leurs charmes au jour bienséant
Ta nuit et ton cri s'étrécissent aux dimensions de ce terne sultan
Assez dur pour contrer la lâcheté de ta chair
Mais assez souple pour épouser les méandres du désarroi  

D'une vie si lisse qu'elle te file entre les doigts.

Saint-Lager, 12.11.22.

vendredi 11 novembre 2022

Femme au foyer
(bien que l'expression tende à disparaître)

Les cendres que tu attises restent toujours un peu froides
La routine s'est muée chez toi en rituel semi-magique
Désespoir et dévotion transformant en mystères ces missions dérisoires
Essentielles à tes sacrificateurs, si mineures à tes yeux
Le moi en toi s'est recroquevillé dans un coin de ta cervelle
Où il a forgé le noyau glacial, cet inexpugnable et opaque cristal
Que parfois l'homme et le garçonnet qu'il est resté, entr'aperçoivent 
À la fois effarés et tristes et repentants
Témoins passifs du miracle quotidien
Qui coule, fluide, des corvées que tu enchaînes
Par les maillons d'une abnégation invincible
Les yeux fous du poète et du romancier passent sur toi sans s'arrêter
Quand ceux du sociologue t'assoient sur un trône de paille
Que celles qui se sont déjà relevées rêvent de brûler.
Mais il y a longtemps que le quotidien t'a changée en chimère
Mi-femme mi-cendres, à jamais parmi les tiens solitaire,
Coeur las condamné à palpiter en cadence pour rythmer les jours de tes esclavagistes.
Ton être expire chaque soir au gré des rires des tablées que tu dresses.
Nappes et chiffons essuient chaque matin les traces de celle que tu fus,
Puis, dans un sourire étrange, et trahissant la laisse, il n'est pas rare que tu portes à ton tour
Un toast à ta mort, et au symbole anonyme dans lequel tu t'es tue.

Saint-Lager, 11.11.22.

mercredi 9 novembre 2022

Bellot du mur

Pourriture de portrait, croqué par un bon ami, tu ne me toises pas, tu regardes ailleurs et plus précisément vers cette porte comme si tu devinais qui l'avait passée pour la première et sans doute dernière fois ! 
Dimensions inédites, vaguement celles d'un poster d'adolescent ; cadre en bois léger déjà en partie ébréché (tu es tombé ah ah foutu visage de moi!). Le tableau hyper rectangulaire de ma caricature est accroché juste en face de mon nouveau lit et...
A-t-il remarqué quelque chose ? A-t-il senti, perçu quelque mouvement furtif s'approchant de l'annexe où je me tapis à l'abri de ma honte ?
Ses sourcils sont à la fois moqueurs et un peu inquiets. L'écriture est cette terne magie qui veut faire parler les murs.
Toi et moi, OTTO, avons au moins une chose en commun. Nous avons toujours regardé ailleurs. Nous n'avons JAMAIS regardé la réalité en face. Il n'est que justice que nous achevions notre marche en crabe, notre existence oblique, dans cette chambre annexe, puissamment lamentable et a-conjugale.
Toi et moi, portrait, faisons la paire ; sais-tu que, même si tu me ressembles un peu, version de moi plus accusée (nette), je n'ai aucune affection pour toi. Ah il est beau le narcissisme !
On t'a a offert à moi pour mon anniversaire, portrait veuf désemballé de frais parmi nombre d'êtres qui me sont chers (et une en particulier, qui m'a été chair et m'aura coûté ouchiouchi !) et, CEPENDANT, ta vue ne suscite en moi nostalgie ni joie. Je vais te faire une confidence, crétin hyperbolique, sosie pourri : depuis que j'ai réappris à vivre, je n'existe plus, c'est un torrent indécent. Tu veux ma définition actuelle, tu la veux hein, grossier personnage ? Plaie à vif entourée de chairs anesthésiées, guettant le signe blessant qui la refera saigner.
Nom de non, ce que j'aimerais être à ton image ! J'aimerais être fixe, comme toi circonscrit et cadré, à jamais similaire à moi-même et, quel que soit le désespoir ressenti, le regard à jamais tourné vers cette porte qui ne se rouvre pas.                                                                        
St-Lager, 12.11.22.                                                                                                                                       

lundi 24 octobre 2022

Ton parfum s'est dissipé
Dans nos oreillers
Distraitement, au cours d'une année
Jusqu'à tes pleurs ont étouffé
Et tes rires
Et tes colères ô mon ancienne aimée

Ma belle, ma noble, ma tendre épousée
Assassinée sans raison par mon coeur intermittent
Amour, je t'en prie, épargne notre souvenir
Fais de la poussière un cocon où il se lovera
Autour de ce visage que j'ai tant chéri
Je veux que tu lui donnes l'éternité des icônes
Que tu lui rendes enfin la couleur royale
Que mon impiété lui a ravie

Et ce prénom qui orne mon alliance
Ce surnom que ce même coeur lui offrit
Avant que d'en effacer toute trace
Je le veux tatouer dans le sang de ma honte
Et l'emporter dans la fosse commune
Réservée à tous ceux qui ont oublié
Le premier nom de leur amour.

Ce n'est pas le temps
Ce n'est pas le temps qui passe
Ce n'est pas le temps qui reste
C'est le gouffre rieur du puissant présent
Qui tout superpose, qui de tout
Fait cette fine lamelle de peau
Que nous foulons au pied.

À qui appartient la lumière
Que j'ai aperçue au fond de ton oubli ?
Qui scintille si gaiement
Parmi tes larmes et tes tourments ?
Appartient-elle à Dieu, au néant, à quiconque ?
D'où vient cet or nouveau qui me baigne le visage
Après l'avoir rendu aveugle à celle qui l'avait ébloui ?

Le rose dont l'amnésie teint mes vieilles joues
Ne bariolera jamais les chrysanthèmes
Que mon léger remords a jeté sur ta tombe car
Dans l'eau noire de mon âme
Tu ressurgis encore et encore, immaculée.

Saint-Lager, 24.10.2022.

jeudi 13 octobre 2022

Exorcisme, pratique magique

Ce sentier, tu l'as peut-être raté cent fois
Armée de ta boussole faite à Dacca
Cette porte était peut-être celle de votre buanderie
Et ce lit, celui qui reçut ton aïeul incontinent :
C'était bien avant l'époque où tu roupillais pendant mes boniments.

Tes grimaces de jeune gargouille mafflue
Tirant la langue dans la neige fondue
Affalée sous une luge à la trajectoire mal négociée
Repose sans doute maintenant au fond d'un tiroir rustique,
Parmi les rognures de crayon, les punaises rouillées et les élastiques.

Encore un appartement où, jeune demoiselle, tu n'habitas qu'un an
Peuplé d'inconnus dont je me fous éperdument
Encore un de tes musées de la charentaise et du santon  
Fermés pour cause de désertion.

Et c'est pour ces images stupéfiantes
Que je ne reconnais pas ce sentier mille fois pris
Qui fut le nôtre.
Que j'ignore que ce toit qui m'est vaguement familier
Est en fait celui de ton foyer.

Quel dieu clément fut soudain solidaire de mon vécu ?
Quel ange dominical a tiédi mes ardeurs,
Jeté tes disques, épargné les miens ?
Par quelle ironie puis-je encore sans pouffer
Tenir gravement la main gauche qui me les a rayés ?

À l'heure qu'il est, ma maison est sauve, tous ceux qui y vivent
Ont déjà repris la piste rituelle de l'hypermarché
Et de la foirfouille à laquelle ma folie les a menés.
Le troc radieux qui échangea mon couple
Contre ton cul est tombé en carafe. 

Rejoins ton oubli, pauvre endormie.
L'unique idée que tu conserveras de moi
Portera en son sein mille chemins faussés
Où prolifèrent les puces de toutes les chiennes qui m'ont aimé
Pour le cabot que j'étais et qu'à jamais je resterai.

Emporte avec toi tes protections légères
Dont tu as lesté mes sanitaires et grevé ma vie prospère :
C'est le dernier vestige de notre lien. Je te les laisse.
Fais t'en un bonnet, un string ou des papillotes, qu'importe :
L'ennui que tu distillais m'a guéri tout entier.

Autopastiche, Saint-Lager, 13.10.22.


mardi 11 octobre 2022

Ce sentier, tu l'as peut-être emprunté cent fois,
Accompagnée d'amis que je ne connaîtrai pas.
Cette porte était peut-être celle de ta chambre
Et ce lit, celui dans lequel on te bordait enfant
À l'époque d'or où on te régalait de contes.

Ton minois de fillette encagoulée la goutte au nez
Souriant dans la neige blanche
Trônant sur la luge des meilleurs des royaumes
Est posé, peut-être, sur un buffet pittoresque
Ou sur la porte close d'un frigo sans attrait.

Encore une maison, là-bas, qui fut la tienne,
Et où tu demeuras adolescente puis jeune fille,
Encore un musée de tes intimités,
Fermé aux étrangers dont je suis.

Et c'est pour ces images suspendues
Que je ne connais plus ce sentier cent fois pris
Qui fut le mien.
Que j'ignore que le toit qui me protège
Est encore celui de mon foyer.

Quel dieu infâme est désormais dépositaire de mon vécu ?
Quel démon a mélangé mes routes,
Pillé mes biens, dépossédé les miens ?
Par quelle ironie puis-je encore un instant
Caresser la main douce qui me les ravit ?

À présent ma maison et tous ceux qui y vivent
Prennent déjà le chemin du mausolée
Et de la tombe que ma folie leur a creusée.
Le troc odieux qui échangea tout mon passé
Contre ton présent leur sert déjà d'épitaphe.

Dors dans l'oubli, belle endormie.
L'unique idée que tu conserveras de moi
Portera en son sein mille chemins abandonnés
Où prolifèrent les ronces de ceux qui m'ont aimé
Pour celui que j'étais et que plus jamais ne serai.

Emporte dans tes songes la chimère légère
Que tu as fait de ma vie déracinée, omise :
C'est le dernier vestige de notre lien. Je te le laisse.
Fais t'en un lacet, un collier ou une corde, qu'importe :
L'amnésie que tu distillais m'a blanchi tout entier.


OS. Saint-Lager, 10.10.22

dimanche 9 octobre 2022

Dans nos regards inversés,
Coule le torrent silencieux d'affluents différents
Charriant débris d'histoires et deuils insoupçonnés
Boues lourdes et limons agissants.

"Vers quelle mer ce long échange d'espèces
Fuyantes et visqueuses, lapins, carpes et brochets,
Têtards, prédateurs, coagulant dans la laisse,
Envisagera donc de se porter ?"

Le flux seul compte, mon onde adorée,
Vois nos anciens corps gisant là-bas sur la berge
De nos existences asséchées, telles les mues désertées
Par l'élan qui nous mène et toujours converge.

Pour qui subsistent les traits subtils de nos passés ?
Ces rides superficielles d'un temps réinitialisé,
Ces carillons sourds d'antiques horloges cassées,
Noyées, toutes, dans le brasier bleu de notre actualité.

Quelle que soit la nage choisie, le torrent inédit
Possède la fougue imbécile des enfants non sevrés :
S'étendre, bourdonne-t-il, fermer l'oeil, rouvrir les branchies,
Descendre chez Neptune, fuir la trop noble odyssée.

Saluer l'oxygène, celui de ces vies que nous avions tant respirées
Récréer ensemble un azote, peupler l'eau de nos petites bulles
Redevenir hippocampes sans poids, anguilles, poulpes ou raies
Porter un toast fluide au cimetière de pendules.

Sonder, du ventre effleurer les fonds, puis s'égarer au large,
Notre surface et notre abysse fondues soudain en un seul baiser
À contre-courant, le temps remonté redevient sauvage,
Ton visage, une brasse où tes yeux sont mes yeux échangés.


Saint-Lager, 8.10.2022.

lundi 3 octobre 2022

Roman
I

On n'est pas sérieux quand on a cinquante ans.
- Un beau soir, loin des rites et de la promenade,
Des foyers apaisés au luxe rassurant !
- On part sous les aulnes noirs de la débandade.

Les aulnes sentent fort dans les soirs de juillet !
L'air est parfois si chaud, qu'on snobe la chaumière ;
Le foehn si chargé de bruits - le vice est tout près -
Prend des relents de guigne et d'échos mortifères...

II

- Voilà qu'on envisage un tout joli chiffon
De rouge, surplombé d'une petite mèche,
Lesté d'une rose qui tortille du con
Paré de doux frissons, pour qu'on hume et qu'on lèche...

Nuit de juillet ! Demi-siècle ! - On se laisse jeuner.
Sa sève est un tord-boyau qui prend à la gorge...
On délire ; on se sent dans l'esprit un acier
Qui fume et rougeoie là, comme arraché aux forges !

III

Le coeur fou bovaryse à travers des romans,
- Lorsque, dans l'obscurité d'un innocent lycée,
S'allonge cette dame aux désespoirs charmants,
Sous les auspices spécieux d'un mariage âgé...

Et, comme elle vous a trouvé superbement sage, 
Tout en faisant cliqueter ses ongles nacrés
Elle sourit, se tourne et vous ouvre son corsage...
- À votre doigt s'éteint alors l'anneau sacré...

IV

Vous êtes langoureux. Ranimé jusqu'au mois d'août.
Vous êtes langoureux - vos pastiches la font rire.
Vos amis tiquent, vous ne valez plus un clou.
- Puis l'adorée, un jour, daigne vous convertir... !

- Cette année-là... - on vous revoit dans un foyer
Au luxe rassurant, aux vertes promenades...
- On n'est pas sérieux, passé cinquante étés,
Lorsqu'on aime l'aulne noir de la débandade.


"Pastiche IV", OS, Saint-Lager, 3.10.22.

mardi 27 septembre 2022

Le pèse-personne

Tous les hommes sont du salami. Les baigneurs qui sortent des vagues pour sauver un noyé ou une otarie sont du salami. Tous les constructeurs de châteaux de sable sont des salamis, et spécialement ceux d'aujourd'hui.
Tous ceux qui savent comment se diriger vers la mer, qui plantent leurs petits drapeaux, tous les maîtres-nageurs, ceux pour qui nager revêt un sens, tous ceux pour qui les courants ont un sens, tous ceux pour qui l'écume n'est pas qu'une quantité de salive, sont des salamis, je pense à leurs maillots étanches et à ce grincement de bouées que produisent leur sang et leur gras - de salami.
Ceux pour qui certains sables ont un poids, et certaines manières de bouger, ceux qui manifestent une certaine maîtrise dans l'art de suinter, ceux pour qui les sentiments, en toute saison, possèdent un hiver et un été, et qui discutent du temps à l'orée des marées, ceux qui croient encore aux vacances, aux congés et aux calendriers, et qui en profitent pour formuler des certitudes intermittentes, ceux qui croient encore que la longitude a un sens, que la tempête va venir d'ici et partir par là-bas, qui agitent des mouchoirs pour dire adieu et des serviettes pour évacuer le temps
- ceux-là sont les pires salamis.
- Vous êtes bien frileux, jeune homme !
Non, je pense aux gypaètes barbus.
Et je vous le dis : pas de plages, pas de secouristes, pas de grain.
Rien.
Sinon un pèse-personne.

"Pastiche III", Saint-Lager, 27.08.2022.

vendredi 16 septembre 2022


Demain dès l'aube, aux heures où faiblit la castagne
Je m'enfuirai. Vois-tu, je sais qu'elle m'attend.
Je sens qu'elle m'a humé, cette Dame sans poigne.
Son appel, je ne veux l'ignorer plus longtemps.

Je roulerai lentement, l'oeil écarquillé
Sans oublier mes torts, sans renier mes délits
Veule, inconsolé, le dos raide, les mains crispées
Sourd, et ce volant pour moi sera comme un cri.

Je n'esquiverai ni l'huile des pluies en trombe
Ni les sirènes au loin remontant vers Calais
Et quand j'arriverai, j'enverrai sur ma tombe
Une gerbe de verre et d'os sur la glissière
Pliée.


Pastiche II, Saint-Lager, 27.08.2022.

Vénus analysée

Comme d'une conque de soie zébrée, une tête
D'ondine aux cheveux platine, très poitrinée
D'un gros jacuzzi émerge, joliment faite
Portant maints tatouages assez mal torchés.

Puis ce cou rose et grêle, aux frêles omoplates
Qui saillent, le ventre creux qui rentre et ressort
Puis les rondeurs des seins semblent perdre leur jatte
Le titane du piercing pouffer : "Roquefort!"

Le derme est un peu rouge, et le tout prend un goût
Plus triste étrangement ; on remarque surtout
Des énormités qu'il faut lire sur la poupe...

Le cul porte trois mots rasés : gloire à JANUS
- Et tout cet être tremble et tend l'étroite croupe
Laide iniquement du souvenir de Vénus.


Pastiche I, Saint-Lager, 27.08.2022

samedi 14 mai 2022

Un hommage à Pierre ASTIER, fondateur du Serpent à Plumes, aujourd'hui agent, plus vivant que jamais et à peine déplumé. N'hésite pas à lire des manuscrits inconnus. Rappelle quand un auteur a donné son mauvais numéro de téléphone. A publié discrètement quelques géants, John Cheever, John Barth, Margareth Atwood, Rikki Ducornet, Martin Amis, Lydia Lunch, Nick Cave et Toby Olson, et j'en passe, surtout d'Afrique, avant tout le monde ou presque. N'a pas de page wiki et n'est pas de la même famille qu'Alexandre, mon voisin. Un défaut : n'a pas inventé Asterix. Une qualité : aime Nabokov.

Pierre Astier, mai 2018, festival HeadRead de Tallinn en Estonie. © Dmidri Kotjuh.