Cendrillon

Cendrillon
« Fallen princess, CINDER », 2017, © Dina Goldstein. Avec l'aimable autorisation de l'artiste.

jeudi 28 mars 2019

Rions ensemble (3) : une notice actualisée initialement prévue pour Le Dictionnaire de la mort (Larousse, 2010)

Catherine E. Coulson, "the log lady"

Lynch, David Keith

Comme chez les réalisateurs de films policiers et fantastiques, la mort pour David Lynch est toujours brutale et inouïe. En un mot, surnaturelle... Mais, loin de se résumer à une scène, à un acte isolé et spectaculaire, elle irrigue tout un univers, qu’il s’agisse de celui des deux premières saisons de la série « Twin Peaks » (le noeud gordien du meurtre de Laura Palmer), de  “Blue Velvet” (qui s’ouvre sur un infarctus), « Mulholland Drive » (sur un accident de la route) mais aussi de « Une Histoire Vraie » (où elle figure aux yeux du vieil Alvin Straight l’horizon plat au bout de la ligne droite). C’est en grande partie à ce caractère morbide que le monde du réalisateur, peintre et photographe, doit toute sa force. Le magnétisme fixe et évanescent - paralysé - de ses images possédant les oripeaux mélancoliques du cadavre. En ce sens, la mort immobile de - l’actrice - Laura Dern dans « Inland Empire », dont la déchéance duplique celle de la Naomi Watts de « Mulholland Drive », est l'une des plus belles scènes d’agonie jamais filmée.
Ainsi, de l'essntielle femme à la bûche, dans la saison 3 de « Twin Peaks ». Si son cancer vient contrarier la notion de mort artificielle dans une série où la plupart des meurtres sont foudroyants, sanglants, voire instantanés, Lynch en fait une disparition progressive rythmée par ses coups de téléphone prophétiques à l’adjoint Hawk ; un évanouissement, une perte symbolique. Une fois encore, l’annonce de son décès par cet adjoint au nom clairvoyant et au verbe rare, au reste du petit commissariat de « Twin Peaks », doit sa sobre splendeur à la compréhension tacite du lien qui les unissait et de l’acceptation commune de la mortalité. Catherine E. Coulson meurt quelques jours après le tournage de son dernier appel ; la fiction lynchéenne, tout naturellement, a laissé place à la vie, c’est à dire à la mort. 
Il n'y a pas d'hôpitaux, dans le monde de Lynch. Pas de traitement. Comme si tout cela n'était qu'un attirail défensif vainement déployé par l'homo occidentalis soudain confronté à l'immuabilité de sa condition. Il n'y a pas d'hôpitaux, aussi, parce que le monde des esprits attend, déjà impatient, derrière la porte. La réalité de Lynch, bouddhiste, est parasitée par celle, admise, des esprits, bons ou mauvais. L'au-delà a déjà mis un pied chez nous. Aucune autre œuvre du réalisateur, mieux que cette troisième saison (entièrement tournée par lui) ne laisse affleurer cette nostalgie anticipée du monde terrestre et matériel. Lynch n'est ni un cinéaste de la mort, ni un apôtre de la résurrection, il est un cinéaste de l'entre-deux ; le monsieur Loyal d'un purgatoire moquetté où les hommes, happés par le stupre, la combine et l'absurdité de la mécanique quotidienne, ont bêtement omis d'aimer et d'éprouver. La mort chez Lynch est morale ; elle est un regret de ne pas avoir mieux vécu.

O. Saison 

Voir aussi : Agonie, Cinéma, Roman policier
 
 
Bibl. : Chion M., David Lynch, Cahiers du cinéma, 2001

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