Cendrillon

Cendrillon
« Fallen princess, CINDER », 2017, © Dina Goldstein. Avec l'aimable autorisation de l'artiste.

dimanche 24 mars 2019

INFORMATIONS ESSENTIELLES SUR LE CARLIN

Jamais ! Jamais on n'aura vu chien à tel point regarder les hommes.
Carlin s'assoit juste devant vous qui êtes debout, et d'en bas de sa pyramide de plis vous contemple. S'ébaubit-il de votre air dubitatif, de votre nez bourbonien ? 
S'inquiète-t-il de voir cet autre spécimen du règne animal s'ériger avec tant d'arrogance dans cette posture contre-nature ? Admire-t-il au contraire notre port de tête, nos reliefs faciaux ou l'oreille retorse que nous prêtons aux actualités les plus anxiogènes ? Se désole-t-il de notre impuissance en face de ce que nous feront subir - aux nôtres et aux siens - les dérèglements climatiques et, parce qu'elles lui voleront peut-être leurs maîtresses et maîtres, la Covidation du monde et les braises volatiles de l'État islamique ?
Carlin arbore de gros yeux ronds, uniques éminences de sa moue arlequine - le comédien Carlo Antonio Bertinazzi (1710-1783), surnommé "Carlino", lui aurait soi-disant légué son nom de scène. 
Il ne comprend pas nos pantomimes, c'est cela ! Il ne possède pas notre sens du spectacle ni nos fringales d'explications ! 
Nous regardant, il ne comprend pas ce qu'il voit. 
En fait il n'est pas totalement assuré de l'espèce qui lui retourne son observation médusée... Qui lui donne si gentiment (adverbe honni des lettres françaises) à manger, où dormir et où boire, où promener et quoi ne surtout jamais méditer. Il n'est pas certain, non plus, de l'objectif de tous ces soins. Le concept de bonté lui est possiblement étranger - joie, colère, tristesse, à l'étroit dans ce cerveau de 40 grammes aux origines sans doute extraterrestres (photo ci-dessous)*. À moins que sa promiscuité séculaire d'avec les moines bouddhistes, quand il portait encore le nom zen de "lo-sze", ait fini par faire de lui l'unique chien pratiquant l'ascétisme.
Carlin, issu d'une lignée à la probité candide, vit dans l'éternel présent, excepté quand il rêve et anime ses fines pattes et ses lourdes paupières aux trousses de quelques lapins ou congénères imaginaires. Mais Carlin rêve peut-être encore du plumet orange et excitant de Donald Trump, autre molossoïde brachycéphale exposé à l'hypoxie. De sa lointaine enfance à la Zola - arraché à huit semaines à sa mère pour satisfaire aux troubles affectifs d'une espèce étrangère mieux lotie que la sienne en matière de stock alimentaire... De biscuits diététiques dont il a entraperçu, hagard, entre deux ronflements, la publicité pétaradante sur un écran encore plus plat que lui, biscuits (il l'ignore) fabriqués avec les farines de congénères équarris. Des toniques Shih Tzu du voisinage, qui chassent en meute. De la réduction radicale infligée à Marie-Antoinette, qui adulait sa race impavide et son mépris pour les brioches.
Carlin perçoit le monde de façon radiale. Son regard est convexe, à ses yeux le moindre périmètre le renvoie à l'arrondi de la planète, comme s'il disposait d'assez d'envergure pour embrasser le globe. Carlin, pour cette raison, assiste sans passion depuis la Chine mandarine au déclin de notre occident claudicant. Il sait ce qu'il nous faudrait, et ce à quoi nous ne voulons prétendre. Carlin ne nous plaint ni ne nous envie. Carlin croit foncièrement à l'immanence du Dasein. Carlin est là, et nous sommes vains.
"OS"

*Selon M. Lesbre, "Étude sur le crâne et l'encéphale du chien", in Bulletin de la Société d'anthropologie de Lyon, tome 2/2, 1883, p. 138. 

Le carlin rend souriant : Aida Martinez et Mia au "Pugs Pal Cafe Bar" de Brick-Lane (Londres) © AFP

Authentique crâne de carlin exposé au Musée d'ostéologie de l'Oklahoma © Chris Dodds

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