Cendrillon

Cendrillon
« Fallen princess, CINDER », 2017, © Dina Goldstein. Avec l'aimable autorisation de l'artiste.

samedi 24 novembre 2018

NOUVELLE

Deux petites pages exhalant un parfum blanc et fétide d'occident !

© Photographie Frank Lassak "Après l'amour"/ The Hopper Files

L’épouse du pornographe

Ma femme me l’a toujours reproché. Les hommes sont des lâches, des pleutres et des couards. Des enfants. Des enfants goulus de pardon ! Là-dessus je suis tout à fait d’accord avec elle, mais pour le reste je me permettrais de... Hier, justement, nous en discutions dans la cuisine. Une fois encore, elle me reprochait de ne jamais aller au fond des choses, « au bout de moi-même » c’était son expression, ce à quoi je répliquai mentalement « ma chère et tendre tu peux penser ce que tu veux, mais je n’ai pas du tout envie de me retrouver face à ma bite ! »
« C’est ça que tu appelles de l’érotisme ? » s’écria-t-elle, agitant très haut la feuille qui portait mon écriture, comme pour illustrer le propos cette fois, Arthur, c’est le pompon !
Elle se remit à examiner ma prose en secouant la tête d’un air navré. Dehors, le voisin déposait ses ordures juste derrière notre Toyota. Je reculai, et de façon inconsciente, agrippait dans mon dos le tiroir de la cuisine qui couina comme s’il devinait la volonté que j’avais de fuir par le compartiment cuillères. La voix de ma femme continuait, atone :
« L’infirmière alla fermer à clé la porte de ma chambre et...
- Arrête ça minou ! »
Elle leva les yeux au ciel :
« Une chambre d’hôpital ne ferme pas à clé, Arthur. Sauf celle pour les détenus.
- Mais ce n’est absolument pas un texte réaliste... »
Elle reprit :
« ... revint vers mon lit dans un sourire confus. Sa poitrine haletante gonflait sa blouse et son visage presque triangulaire (elle gloussa) se rapprochait à chaque pas qu’elle faisait du rouge du thermomètre qui dépassait de sa poche, épousant le branle doux de sa respiration, remuant les boucles brunes qui recouvraient le haut de son sein. Elle avait un petit nez anglais, la peau plutôt pale rehaussée de quelques taches de son et des traits et des articulations qui semblaient d’autant plus fines que les formes qu’elles liaient étaient lourdes et... »
Elle soupira et me gratifia d’un rictus d’un mépris infini :
« Franchement c’est long. Tu n’en viens jamais au fait, ça a toujours été ton problème. Elle déboutonna son col sans cesser de me dévisager et me demanda de sa voix espiègle si le traitement du chirurgien m’avait fait du bien tandis que ses doigts aux ongles nacrés continuaient à dévaler la pente abrupte de sa blouse, laissant jaillir une gorge que n’avait manifestement besoin d’aucun soutien. Manifestement ? Son genou satiné s’enfonça dans mon matelas, dévoilant la tête dentelée d’une minuscule jarretelle blanche. Son bas translucide se tendit... Tu veux dire blanc, son bas ? m’interrogea-t-elle avec la compassion de la spécialiste.
- Translucide... »  balbutiai-je, horrifié à l’idée de ce qui allait suivre.
  Même la poignée du tiroir devenait molle dans mon poing...
« S’il te plaît Myriam. S’il te plaît !
- Elle appuya du bout du pied sur la pédale pour faire descendre le lit, rabattit la balustre - ça s’appelle une barrière, tout simplement - et grimpa à bord. Je pus mordiller son... tétin ? quand elle se pencha au dessus de moi pour allumer la veilleuse ; l’infirmière de nuit sourit et, déposant sa toque sur ma table de chevet, déploya son ample chevelure tandis qu’un rectangle pubien soigneusement paysagé continuait désormais la rampe de missile que formait mon bas de pyjama, tel un bâton brisé en deux par le reflet de l’eau. Bon sang, me dis-je, ne mettait-elle donc jamais de sous-vêtement ?
Elle s’interrompit, pas déridée pour un sou.
« C’est une vraie question. Tu sais ce qui manque à ton histoire ? »
Je secouai la tête.
« De la vraisemblance ? risquai-je.
- Une histoire. Elle se redressa et avançant sur les genoux, déplia en pouffant l’emballage de son petit bonbon rose, de son chips à la crevette.
- C’est toi qui rajoutes ! »
Mon épouse m’adressa un sourire goguenard et glissa tranquillement sa mèche blonde derrière son oreille tout en évaluant le nombre de pages restantes. Elle se racla solennellement la gorge. Je plaquai les mains sur les oreilles mais elle dut monter le ton car j’entendais quand même sa voix flûtée, la lisais sur ses lèvres ! Ses cernes lui donnaient l’apparence d’un énorme castor...
Me cramponnant à ses cuisses soyeuses, ignorant la douleur dans ma nuque et dans mes omoplates, je tendis le cou pour darder le bout de ma langue dans son...
Je m’élançai et la frappai pile sous le sein gauche.
Mon épouse vacilla, souriant toujours mais à blanc, comme si elle feignait encore de ne pas comprendre ce qui se passait, la main sur le manche du couteau - elle heurta la gazinière derrière elle et s’écroua lourdement, sans la moindre grâce, sur le carrelage récemment lavé à l’huile de lin.
J’aurais pensé que cela aurait fait plus de bruit, mais non.
L’horloge Calder que nous avions achetée lors de nos vacances à Paris égrenait son tic tac rudimentaire. La poubelle du voisin narguait le pare-choc de la Toyota en prévision de manoeuvres à venir... Je soupirai un grand coup et m’approchai.
Sa nuque formait un angle bizarre avec le bas de la gazinière, sa poitrine s’élevait avec de petits sifflements rauques d’asthmatique. Elle avait l’agonie maussade. Je m’agenouillai, l’oreille tendue vers la vieille cerise de sa bouche adorée, puis secouai la tête à mon tour :
« Tu vois, tu l’as maintenant, ton histoire, Mimi ! »



La maîtresse du pornographe

« Arthur ?
- Oui ?
- Tu montes ?
- J’arrive ! J’arrive mon amour ! Me voilà ! En chair et en corps caverneux ! »
J’ouvris la porte de la chambre d’ami à la volée - ce qui était pratique, quand on trompait une infirmière avec une autre infirmière, c’est que l’une pouvait être de nuit quand l’autre était de jour et ainsi de suite ! Sabine, d’instinct, avait tiré le drap sur son menton et me considérait d’un air inquiet. Elle avait toujours l’air de sortir d’un match de boxe après un nuit d’amour. À Collioure, cet été, même la fanfare du 14-Juillet ne l’avait pas réveillée...
« C’était quoi ce bruit ?
- Nous avons parlé. Elle m’a balancé un truc à la figure, pour la forme.
- Myriam est ici ? Tu m’avais dit qu’elle faisait les trois huit...
Je hochai la tête :
« Tout va bien. Elle est partie dormir dans la voiture. Elle est vannée.
- Dans la voit... Tu lui as dit ?
- Elle est ok. Même à l’amiable. Tu avais raison ma canne. Elle couche avec Evrard. Salopard d’Evrard ! »
Je m’assis et retirai le pantalon que j’avais enlevé une heure plus tôt. Une chance que je ne me sois pas fatigué à remettre mes chaussettes.
« Qu’est-ce que tu fiches Arthur ?
- Puisqu’elle dort dans la voiture ! »
L’ex meilleure amie de ma femme me repoussa faiblement, trop faiblement pour que je ne déchiffre pas le signal. Quelle était gourmande ma Sabine ! Je comprenais les Romains ! Je finis par lui arracher le drap des mains. Elle était frileuse, d’une frilosité maladive ; sans ça elle n’aurait jamais accepté de garder ses bas. De simples autofixants mais bon... On n’allait quand même pas faire le difficile !
« Et ta toque ? demandai-je en enfouissant mon visage dans ses boucles brunes.
- Tu exagères... » minauda-t-elle.
Je roulai sur le côté en me serrant la poitrine dans une grimace ; elle éclata de rire et se mit à chercher la toque sous nos couvertures massées au bas du lit. J’ouvris un oeil le temps d’admirer encore un instant ce fessier joufflu qui la complexait tant la pauvre ! On n’a pas idée d’inventer un pétard pareil ! Selon une étude d’Oxford que j’avais dû lire dans je ne sais quelle salle d’attente, un corps callipyge annonçait un bébé dodu au cerveau bien formé... Discrètement, je m’astiquai un petit peu sous le drap, histoire de. Un bail que je n’avais pas été aussi partant - depuis mon coma ?
J’étais un lâche, un pleutre et un couard. Un enfant ! Un enfant goulu de pardon !
« Pffff... quel gamin tu fais ! murmura-t-elle en la coiffant et en l’ajustant légèrement de biais son front. Comme ça ?
- Pâââârfait ma canne ! Allez, au boulot ! »
On allait voir ce qu’on allait voir !
« Qu’est-ce que tu fiches ? m’écriai-je. Tu vas où ? »
Mais elle avait déjà attrapé et enfilé la blouse qui traînait sur la moquette :
« Je préfère quand même, par sécurité. »
Je haussai les épaules, compréhensif. Le drap déjà en toile de tente.
L’infirmière alla fermer à clé la porte de ma chambre et... revint vers mon lit dans un sourire confus.

Fin
O.S. 2010.

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