Cendrillon

Cendrillon
« Fallen princess, CINDER », 2017, © Dina Goldstein. Avec l'aimable autorisation de l'artiste.

mercredi 4 janvier 2023

A ÉTÉ

Sous une chaise, un masque est tombé
Par accident, une autre main l'a ramassé.
De l'air vicié fut respiré communément,
Symptôme précurseur de la peste à venir.

Déjà sur l'écran de petits mots germaient
Humectant les cristaux liquides d'une cyprine abstraite.
Les phrases, l'une après l'autre, soulevaient leurs jupes
Troussant le long des allusions leur vérité nue.

Rendez-vous fut pris, très vite débroussaillé par la réalité
Un présent apporta sa pauvre obole, métonymie d'un été rêvé
Mais entretemps les mots s'étaient changés en paroles :
L'épidémie, soudain, était partout, et Pan voulait son dû.

Il l'eut, porte fermée, sur une table, sur un bureau
Sous forme de fougue adolescente, aux langues tournoyantes
De respirations rauques et d'apnées mal négociées.
La qualité de l'oblation mesurant celle des sacrifiants.

Tel le porc scindé verticalement par la scie de l'abattoir
L'officiant continua, sur une jambe, à arpenter la scène du monde.
L'autre patientait déjà sur un lit inconnu,
L'intimation des draps durcissant les conditions de l'échange.

Une première échappée fut tentée un soir
Tôt rattrapée par les baisers du matin.
Ce qui n'était naguère qu'un gaz avait pris l'odeur du lien
Et une breloque au nombril, un air de piège à lapin.

Sur la rivière langoureusement s'écoula sans heurt
Le bateau mou de leurs primes amours.
Pan, conciliant, leur avait ménagé un nid
Conforme aux mensurations d'un ébat sans gestation.

La perspective des adieux rendait chaque instant crucial,
Émotion et désir allant main dans la main à leur premier bal
Convolant en d'injustes noces qui n'étaient pas les leurs.
À l'abri d'un parc un échéancier fut vite échafaudé.

Des Milan et Furiani, fut-il convenu, seraient les lieux de sa chute.
Privés de corps, les petits mots revinrent, plus petits encore.
L'écran avait rétréci et les doigts, engourdis,
Cultivaient la périphrase et l'euphémisme.

Le brasier de l'hyperbole avait vécu.
Place aux manoeuvres et aux trompettes solennelles de la morale !
N'est pas Pan qui veut, quant à Apollon...
Le rat de la conscience ne se contente pas d'un maigre biscuit.

L'air de l'été, déjà, est redevenu pur.
La saison des masques peut recommencer.
Les chaises sont en place, les futures conversations bruissent,
Sans égard pour les tombes roses qu'elles ont creusées jadis.

L'écran est éteint, peut-être un jour se rallumera-t-il,
Avides de mots à polir et à tordre en tout sens ?
Ô frénésie des miroirs où nos brèves idylles se contemplent,
Vénère la poudre d'éternité avec laquelle tu te pomponnes !

Mais n'espère pas, sur tes beaux yeux plats,
Recueillir un jour la quintessence de nos idiosyncrasies !
Car nos êtres, au dehors, sont aussi creux que toi.
Ce ballet de fantoches qu'un été tu as vus danser 
Sans ton aide n'aurait jamais existé.


Minervio, 9.08.2022. 

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