Cendrillon

Cendrillon
« Fallen princess, CINDER », 2017, © Dina Goldstein. Avec l'aimable autorisation de l'artiste.

mercredi 15 septembre 2021

AVÈNEMENT D'UN NOUVEAU RÈGNE


Et s'il y avait autre chose que nous, parmi nous. Pas un spectre, pas un dieu mais juste quelque chose, là, tout près, toujours à côté. Quelque chose qui ferait écran, qui séparerait, diviserait. Pas une projection de nos angoisses, non, quelque chose extra-humaine mais bien terrestre. Si ce n'étaient pas certaines de nos demeures mais tout le Globe qui était hanté. Nous n'emploierions pas le mot "esprit", trop connoté et immatériel : parce que cette chose serait concrète, bien qu'invisible. Atomique bien qu'inobservable même par Titan Krios. Nous la ressentirions parfois, éprouverions son souffle étrange et impérieux au détour d'une expérience particulière, nous en devinerions alors sa structure, sa colonne. Son aXe. Nous pourrions l'appeler précisément "expérience intempestive de ce qui n'est pas nous (ni les autres)", "expérience de ce qui est en dehors et pourtant partout quelque part autour". Une sorte de matière noire pénible que nous ne pourrions définir que par défaut, énergie difficilement quantifiable à même de modifier les forces qui nous agitent, de décaler de façon subtile nos centres de gravité. Une omniprésence qui tirerait sa toute puissance de notre incapacité à la nommer, à la penser ; qui , sans doute, esquisserait à peine un "chuchotis" en nous voyant postuler de la sorte sa scandaleuse existence. Un murmure radicalement autre. Car cette chose existerait. Peut-être même nous unirait-elle à notre Terre, en bien comme en mal, faisant de nous ses antennes passives, les victimes inconscientes de son vaste "caprice permanent". Si parfois l'ombre, la silhouette en creux de cette chose se profilaient dans nos écrits, nos pensées, nos décisions et nos gestes ; si elle se mirait de façon élusive dans ce que nous créons comme dans ce que nous ne parvenons pas à créer ; dans nos impuissances comme dans nos éclairs de pertinence. Si cette chose, tantôt énergie, tantôt anti-énergie, nous empêchait, à des instants cruciaux, d'être juste nous-mêmes : surgissait en tant qu'Extra-nous ou Non-nous, dans nos plis les plus intimes, amoureux, amicaux (et nous la sentons, et les autres aussi la sentent sur nous). Et s'il fallait patiemment lui présenter ce modeste autel : un espace vierge, blanc, pour qu'elle se manifeste. Si cette chose autre n'était pas interrogation, mais à l'inverse Assertion initiale, non-Question dont nous ne serions que les excroissances et les conformations. Imaginons-la lovée dans nos esprits, nos nerfs et nos muscles telle une chimère atemporelle, innervant nos rêves et nos velléités mais, surtout, imaginons-là partout, et parfois là plus qu'ailleurs, nous empêchant de pleinement concevoir notre fonction, la place exacte que nous occupons dans cet univers, et celle qu'elle occuperait dans le nôtre. Elle se nourrirait peut-être de nos clichés, de nos défauts et tics de pensées, se glisserait dans nos failles logiques, serait tapis au fond de nos résidus de réflexions avortées, socle invisible à nos contradictions, aux adynata grotesques que nous arrache notre délicat rapport au monde ; en elle résiderait le secret millénaire de nos imperfections et de l'absurde réitération de nos erreurs historiques, et, peut-être, l'explication de cette tristesse réflexe de nous croire imparfaits dans ce paradigme humanoïde qu'elle aurait façonné et restreint de ses propres mains. Nous serions tantôt ses limites, elle serait la nôtre. Nous évoluerions à l'intérieur de son cadre, jamais en dehors. Bien sûr, comme tout coin aveugle, la décrire de façon fluide et nette (non lovecraftienne) serait impossible ; nous ne pourrions réellement la concevoir avec clarté et encore moins l'observer (nous ne sommes pas nés pour faire cela). Et pourtant, nous la humons quelquefois, çà, là, ici ! en-deçà ! dessous ou dessus nous... à l'occasion d'une situation incongrue ou d'un texte inepte, comme les chiens reniflent la main tantôt bienveillante tantôt sanguinolente de leur Maître.   

Mais, de toute évidence, nous ne serions pas nés pour faire cela.

O.S.

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