Cendrillon

Cendrillon
« Fallen princess, CINDER », 2017, © Dina Goldstein. Avec l'aimable autorisation de l'artiste.

samedi 25 septembre 2021

CRITIQUE

Crédit : Itar-Tass

"LA MAISON
DANS LAQUELLE" 

de Mariam Petrosyan

La Maison dans laquelle de Mariam Petrosyan est un grand livre. Grand également au sens de spacieux. C'est un livre sur le potentiel d'expansion géographique de l'esprit des enfants - d'ailleurs l'éditeur s'appelle Monsieur Toussaint Louverture, et ce n'est pas la première fois qu'il nous offre des oeuvres si étendues, où nos imaginaires peuvent s'ébattre sans craindre d'être à l'étroit. Nous pourrions aisément compléter le titre : La Maison dans laquelle plusieurs bandes d'enfants et d'adolescent(e)s s'inventent des carapaces imaginaires - et pourtant efficientes - pour combler leurs handicaps et sublimer l'existence d'un orphelinat russe au tournant de ce siècle (la décade n'est pas précisée). 

De toute manière, il n'y a pas de Temps dans La Maison dans laquelle... : Tabaqui, un des gamins en fauteuil, abhorre les horloges, hait les montres, conchie les pendules. Il porte sur lui plusieurs couches de vêtements (de protection contre le réel) et des talismans (de protection contre le...) faits maison. C'est, en quelque sorte, l'historiographe officieux de cette jungle sociale fascinante, dont il tient le grand Livre. Son surnom, il l'a emprunté au fameux "Chacal' (son autre surnom) complice de Shere Khan dans le recueil de Rudyard Kipling, tout comme la bande de son ami Larry celui des "Bandar-Log", le Peuple Singe qui avait kidnappé Mowgli. 

Leur nouveau camarade de chambrée, appelé Fumeur, en fauteuil lui aussi, fume et s'est fait mettre au ban par sa bande originelle, les Faisants (les Fayots ?) parce qu'il portait des baskets rouges et aurait ainsi essayé, prétendent-ils, de se démarquer. Or tout le monde, que les Faisants le veuillent ou non, se démarque dans cette jungle pour enfants pourtant sans noms ni lignées, ni corps entier. La première chose que vous devrez faire, si vous voulez y rentrer à votre tour, c'est de les laisser vous donner un surnom. Par exemple: "Lecteur-Agile". 

Dans la Maison, Lecteur-Agile, tu serais probablement environné de Livres-Briques avec lesquels tu édifierais tes Remparts multicolores (de protection contre le...), de Livres-Racines et de Livres-non-Sterling. Il serait d'ailleurs conseillé que tu te fasses auparavant adouber par l'Aveugle, dont la cécité n'interdit par la clairvoyance, et que d'aucuns soupçonnent d'avoir déjà tué (pour de vrai). Tu ferais alors la connaissance de Loup, Sphinx, Gros Lard, Roux, Beauté, Noiraud, Vautour et de dizaines d'autres ; et de filles aussi, tantôt furies tantôt âmes soeurs... Tu tâterais de surcroît d'une nouvelle absinthe : celle d'un monde à la magie addictive, où l'invention et le désespoir sont assez puissants pour infléchir la réalité et, parfois, la mettre à genoux. Une chose est sûre : comme la plupart d'entre eux, le moment venu, tu n'auras pas très envie de sortir de La Maison*. Non que tu apprécies particulièrement le bâtiment en lui-même : sa cantine délabrée, sa cave de tous les dangers, son club enfumé au café abject, ses chambres vétustes où vous êtes tous empilés en lits superposés, son toit glissant (même pour toi), son grenier presque inaccessible... 

Dans cette Maison, Lecteur-Agile, sache tout compte fait que ce ne sont pas les murs qui importent, ni le volume des pièces, ni même la qualité de son oxygène, ce sont les âmes charnues qui y vivent, y renaissent ou y meurent. Si le titre du roman est ainsi en suspens, c'est qu'il reviendra à ton esprit d'enfant de l'abonder avant de t'y abreuver jusqu'à plus soif, comme à une noire fontaine de Jouvence. 

O.S.

* Sauf à laisser un graffiti de ton invention sur un de ses murs, sorte de tatouage par procuration qui résume un peu ton histoire ou ton état d'esprit actuel.

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