Ceci n'est pas de l'écrit je suis allé aux confins de la souffrance. Qu’en ai-je
retiré ? Une impression de
légèreté. Ni catatonie, ni dépression ni repli en position fœtale : juste
cette vie extérieure à nous-même, qui se poursuit. Tout est resté en ordre,
travail, maison, le rythme continue et pompe à vide mais sommes-nous pour
autant dénués de sentiments ? La mort nous priverait-elle d’émotions ? Ouch.
La vie survit. Où
êtes-vous adverbes ? La vie se serait-elle poursuivie laborieusement,
péniblement, ah ah, je te poursuis, moi, mauvaise littérature, qui
remplace le vide par un surcroît de tout !
« La vie continue », cliché certes, mais
laquelle ? Quelle est exactement la vie que nous vivons, dorénavant ?
Quelle était, partant, la vie que nous vivions ? Pensons romans. Oui,
roman. Personnage. Squelette d’intrigue. Nous ne possédons plus assez de salive
pour sucer tes os.
Baptisons, frères et sœurs, baptisons.
Il me faut un nouveau nom. Vous, les blasés du conte,
comptons-nous vous surprendre ? Pourquoi le voudrait-on ? Nous
voulons vous faire toucher du doigt quelque chose. Ah ah. Vérité, écrite en
lettres de feu, gravée dans un marbre inaccessible – peut-être n’a-t-il jamais
existé. Nous nous en moquons, vraiment. Ce que nous voudrions mesurer, et nous
nous incluons dans le calcul, c’est la distance que la fiction nous avait fait
prendre, cette sale habitude, ce vilain réflexe, où en sommes-nous,
actuellement, au sein de notre réalité ?
Nul, en ce monde, jusqu’à Elon, ne peut répondre à cette
question. L’humain est né pour être programmé. En lui les données fixes
circulent : traditions, opinions, religions, révolutions, les fluides en
-on sont notre donnée de base, notre sang, que nous parvenons à asséner aux
étoiles, à Mars ? Mars ? Le Dieu de la guerre est-il encore en vie,
là-bas, au sein du rouge ? Savons-nous réellement pourquoi ce lieu
commence à démanger ?
Parce qu’il n’est pas ici. Les derniers siècles ont dédaigné
l’ici à la faveur du là-bas et le là-bas, peu à peu, est devenu trop proche.
Expatriés, nous détestons désormais celles et ceux qui passent la frontière.
Une rivière au Mexique, une mer en Méditerranée, qu’est-ce, aux yeux de notre
regard semi-galactique ? Peanuts. Ridicule. La survie n’est plus à la mode
– trop de peuples sont concernés. La traversée ? Cliché, cliché.
Qu’avons-nous à transporter ? A transporter. Qu’y a-t-il dans ce
chargement, excepté nous ?
Nos vivres sont-ils à notre image ? De l’eau,
nourriture, capotes, livres portatifs. A quoi se résume l’homme
insulaire ?
Voici des questions, des questions, des questions, il faudra
bien nous en satisfaire, nous, les tueurs de certitudes. Ne nous blâmons pas,
c’est Dieu lui-même qui nous y poussait. Crois, ne crois pas. Crois, ne crois
pas. Lève les yeux, que vois-tu, homme ?
Des étoiles ? OK. Que sont ces étoiles ? Des bouts
de rêves, des phantasmes ? Des morceaux de toi-même ? Tes ancêtres.
Ce sont tes ancêtres. Tu as été formé là-bas et là-bas tu retourneras. Ô
pureté ? Mot aux milliards de morts ! Noblesse sanguinolente et
tyrannique ! Veine crue oubliée des régimes démocrates ? Te
rappelles-tu non d’où tu viens, mais d’où tu venais ? Comme si nos aïeux
pouvaient savoir ! Comme si nos anciens pouvaient encore nous parler !
Mais nous avons oublié, oublié ! Quelle était cette étrange poussière
stellaire qui nous constituait ?
Nous avons vainement rapproché nos dates de naissance. Nous
sommes nés en quoi, demi-siècle, siècle, millénaire ? Des lettres !
Des lettres ! L, C, V ! quel manque d’ambition dans l’arrière-quête
de notre destinée !
Nous sommes une espèce formée par les éons, et nous feignons
de ne pas nous comprendre. Nous avons côtoyé les Cthulhu des poètes, les Hadès,
les Styx, Atlas et les tous premiers mondes ! En nous, et en rien d’autre,
réside ce qui fut l’éternité.
Humbles, nous sommes ; humbles, humbles, nous qui
crucifiions notre arrogance sur la croix des demi-dieux ? Nous n’avons
jamais rien inventé que nous-mêmes. Nous n’avons jamais rien prié que nous-mêmes.
L’amour que nous vouions à vos proches nous a aveuglés. Nous sommes nés loin de
tout, y compris de nous-mêmes.
Ailleurs, nous sommes nés ailleurs, quelque part, là où la
joie et la douleur ne faisaient qu’un, où la vieillesse et la nouveauté étaient
synonymes ! Chaque définition a été une étape vers, un combat contre la
guerre à notre propre permanence !
Les créationnistes avaient raison ! Les chrétiens, les
athées, les païens et les humanistes. L’homme a toujours été. Né en même temps
que ses dieux, et morts bien après eux.
Retour sur terre, mais provisoire. Je plains les marchands,
le regard rivé à leur étal, chaque sesterce, usé ou récent, valant pour une
dose d’oubli ! L’humain s’assoit si facilement, se crée si facilement son
monde ? Il pose quelque chose, autre chose un peu plus loin, il est
content : il est entouré, il est plein, protégé ! Quelle armure
translucide, toutefois !
Nous te voyons, hommes, à travers tes propriétés ! Nous
comprenons ton sourire naïf, ton sourire mesquin, victorieux, d’avoir écrasé
ton prochain et amassé, amassé ! Quel petit maître es-tu devenu pour
toi-même ? Mais où est ton logement, dans ce qui est plus grand, dans le havre
originel, quelle place possèdes-tu ?
Dis-moi. Non, attends : jouis. Tu me le murmureras à
l’oreille, usé, lors de ton dernier souffle. Tu renieras alors tes reniements,
dénonceras alors tes mensonges. Piété ? Quelle piété ? Honte ?
Quelle honte ! Quelle confession, quelle culpabilité ? Le seul
remords de l’homme est de ne pas avoir pu être ce qu’il était. D’avoir cherché,
partout ou nulle part, ce qu’il pouvait si aisément trouver !
La « société » ! J’entends ces
anarchistes ! La société a coupé le cordon. La société... n’existe pas.
Elle n’est que nous en plusieurs. Nous sommes les bris du reflet qu’elle nous
tend. Il n’y a que des hommes. Des hommes. Et il n’y a toujours eu que nous. Et
nous n’avons jamais été seuls. L’espace nous a voulus ainsi. Agglomérés.
Denses. Tangibles.
Un humaniste génial serait parvenu à sa fin : il nous
aurait circonscrits. Voilà comment tu es, homme, comment tu dois être, pour
perpétuer la race ! Sois-bon, progresse !
Tttttt. Silence. L’homme est tout ce qu’il ne pensait pas
être. Il n’est pas le carrefour de ses propres possibilités, de ses
propres limites, il est tout ce qui vit en dehors de lui ! Réceptacle
souffreteux d’énergies inlassables qui le foudroient en permanence. Passivité
forcée en proie à une chose trop grande, et innommée. Minerai. Diamant sale.
Petit. Qui ne doit, hélas, sa valeur qu’à lui-même. Forcé de tout fixer à
l’aune de soi.
Une histoire, quémande-t-il ! Une histoire pour savoir
quelle elle est la mienne ! Encore un reflet du flux qui nous porte,
pitié, nous n’en aurons jamais assez !
Que nous les adorons ! Que nous les appelons de nos
vœux ! Nous les avons transmises, colportées, trahies et transformées,
nous les avons dévoyées mais tel le serpent majestueux de ce Moi ancien que
nous ne connaissons plus, la Fiction, telle qu’elle-même, se dérobe à nos
regards usés, et clame à chaque fois sa nouveauté ! Crois en moi et je te
rappellerai qui tu es.
Ne vois-tu pas qu’elle est toujours la même ? Ne
vois-tu pas qu’elle ne raconte rien d’autre, sous une forme accessible, que
l’essence qui nous constitue ?
Et nous en redemandons, parallèle à nos existences
dures ; histoires, crions-nous, histoires, histoires ! Pitié !
Nous avons soif, ou faim, rassasie-nous ! Fais-nous oublier que nous avons
oublié qui nous étions !
Nous étions tellement grands, tellement puissants. Le cosmos
était à nos pieds. Il mendiait notre regard, pour exister. Soyez témoins,
soufflait-il de sa voix puissante, perpétuez mon souffle ! Voyez Zeus, se
mettant en quatre pour nous séduire ! Que lui fallait-il une vulve de
notre race, lui qui gouvernait les dieux !
Blague ! Plaisanterie ! Chaque matin, devant la
glace, nous nous comparons tristement à l’infini que nous aurions pu être et
que nous avions été. Nous avons été maudits par nous-mêmes et sommes devenus le
peu que nous sommes.
Rien n’est écrit, que ce que nous écrivons encore. La
tragédie, NOUS l’avons inventée. Le drame est un suspense censé égayer notre
sentiment morbide. La comédie, nous rions, rions d’avoir omis. Quel plaisir de
nous réduire à nous-mêmes !
Dieu que l’homme est devenu modeste ! On s’étonne
encore qu’il veuille s’entre-détruire ! En finir à coups de missiles,
sectionner son nucleus à coups d’atomes vengeurs ! Nostalgie,
nostalgie...
L’homme est encore plus grand quand il ne reste plus que
lui. Quelle chimère que d’arrêter l’apocalypse ! Quelle sensiblerie que de
pleurer nos morts ! Nous n’avons toujours été que nous-mêmes, plus grands
que nous, et que la mort de nos semblables !
Gloire à l’espèce, mes amis.
A l’espèce à laquelle nous appartenons. A celle qui renâcle
à ne pouvoir être qu’elle-même !
Aucun autre animal ne s’est jamais rêvé plus grand que
lui-même.
Le sommes-nous ? Animaux ? Pas plus que les autres
de ce monde. Certes, nous respirons, suintons de multiples fluides, nous en
gorgeant à l’occasion ! La plus pure des demoiselles a adoré se voir
pisser. Tout ce qui sort est preuve de ce que nous contenions. Il y a en nous
quelque chose qui, toujours, abonde. Se renouvelle. L’organique ne
connaît ni la fin ni le début : il les coïncide. Nous sommes des
fontaines, parfois sèches.
Flaques, taches, souillures : tout autour de nous notre
corps laisse des traces pour nous signaler quelle ampleur était la nôtre.
L’est-elle ? L’est-elle toujours ?
OUI ! OUI OUI ! Que pouvions-nous être, sinon
égaux à nous-mêmes ? La pire des engeances a ceci de commun avec le plus
noble des rois. Le diamant a de multiples facettes, mais la chose en nous qui
en fixe le prix est un fil à plomb tendu à travers l’univers.
Aujourd’hui, grâce à la technologie qui nous a volé le
calcul, nous comptons nos pas. D’un point A à un point B. D’ici à là. De telle
maison à une autre. La Terre est un peu bornée, pour de tels arpenteurs.
Avons-nous fait la somme ?
Mètres, kilomètres. De nos propres pieds. L’obèse est un
athlète aux yeux de nos propres dieux. Toute notre existence nous a vus
marcher, courir, et pourtant nous pleurons sur notre statisme ! Combien de
choses avons-nous portées ? Déplacées ? Replacées ? Réduites en
bouillie ! Mouvement est mélancolie.
Si l’homme se hait, c’est qu’il s’est toujours
souvenu de ce qu’il était. Il faut se dire : toutes nos trahisons,
nos mensonges, nos petitesses, nous seuls les avons définis. Ils sont les
témoignages banals de nos rêves et, au sein de nos rêves, nous nous promenons
encore, dans ce décor abstrait qui devait rester le nôtre.
Il nous faut donc mener l’enquête. Faire ressortir ce que taisent
trop d’histoires : chercher le coupable qui nous a déchus, qui nous a volé
notre trône. Sortir le ver parasite et l’étrangler à mains nues.
Le rétrécissement, ou un élargissement, est-il à
l’œuvre ? Nous manquons de recul, et, cependant, nous savons. Sentons. C’est
un élargissement rétréci. L’homme se scinde en tribus semblables, partout
revendiquant une similitude que d’autres ne partageront pas, il cherche,
cherche, chien aveugle dans une chênaie truffière, porc, cochon domestique, il
bave, fouaille, le nez dans la glaise, aveugle à tout ce qui n’est pas lui et
qui pourtant l’est. Pauvre scindé ! Pauvre rêveur de morceaux, pauvre zélateur
de bribes ! Timide, lâche, semi-réflexif condamné à l’échec ! Tu n’es
un bout que parce qu’il y a tout !
Les communautés sont le plus ancien rêve à venir. L’homme,
lâche, se regroupe parce qu’il croit savoir ce qu’il est. Il se donne trois
mots pour se définir et s’y résume. Il a tellement peur de la multitude !
Il se sent si fier de sa singularité !
Quelle modestie dans la prétention. Il se découpe, et se
range quelque part, dans un coin d’étagère que d’autres ont défini pour lui. Il
ne croit pas en tout ce qu’il aurait pu être et se résume au peu de choses
qu’il est devenu. Et il attend, vigilant, avare de sa poussière, de cette
fixité impossible qu’il appelait de ses vœux !
Donne-moi de la matière, à moi qui n’étais fait que de
rêves ! Plante-moi et statufie-moi, je rêve de me dresser, seul avec
quelques autres, contre le vent qui nous niait !
Quel vent, petit ?
Et d’où soufflait-il ?
Tu portes en toi la vaste morale qui te condamne. Tu
ressembles à tes agresseurs. Femme, tu aurais pu être violeuse si la nature
t’en avait offert la possibilité ! Sois heureuse. Tu as eu de la chance
dans ton malheur. C’est cela : tes bourreaux sont en face. Ils méritent
amplement leur sort. Profites-en et n’épargne personne. L’heure a sonné de ta
revanche contre toi-même. Si nous avions été femmes, nous aurions fait de même.
Petit, cher petit, nous murmurent, toujours
maternantes, nos illusions ! Je ne suis pas lui si bien que je suis
moi ! Allélujah ! Et que faisons-nous de la glaise ?
Vous vous rappelez ? La glaise dont nous sommes issus.
Vous qui croyez en l’hérédité et en la genèse de la vie et des planètes, voici
maintenant que, soudain, vous vous isolez ?! Que vous arrive-t-il ?
Vous flanchez au milieu du gué ?
Nous sommes l’humanité et l’humanité est en nous, se faufile
en nous, se terre et brusquement se manifeste. Nos lois imposent des noms à ces
manifestations. Elles sont parfois gentilles, parfois immondes. L’humanité,
décrètent-elles, n’excuse rien. Un humain peut être bien. Bien ?
A quelle étoile dans la nuit médailler ce petit nom commun ?
Il le faut pourtant, oui il le fallait. Punir, légiférer, exécuter.
Car l’homme, sans le savoir, conserve en germe le Chaos qui l’a vu naître. A
lui seul il lui incombe, et il le sent, de le réguler.
Sincèrement, le nazi a marqué son époque. Il a réussi son
coup. Il nous a montré qui nous pouvions être. On lève le bras, on adule, on extermine.
C’est la symphonie du verbe. L’apologie de l’homme qui se fond dans l’action.
La raison lui a fait oublier qui il était. Il s’est levé
sous le bras, avec le bras, a idolâtré un symbole tournant mais fixe qu’il ne
comprenait pas, un symbole de paix pour déclarer la guerre et embrasser une
dernière fois la VIRGINITÉ ! Entretemps, pendant sa quête, l’impureté l’a
rattrapé : le nazi a trop haï, et s’il a quelquefois pleuré, c’est parce
qu’il ne s’était pas préparé à la vitesse et au souffle du vent de néant qui
l’emmenait !
Il en faut du courage pour ainsi se couper des hommes !
Quelles pucelles farouches ils faisaient, dans leurs beaux uniformes !
Quels sigles ne sont-ils pas allés inventer pour se dissocier du Grand tout,
ces orphelins pitoyables de l’abjecte rêverie ! Qui, ici, serait encore
assez idiot pour se rallier à un seul homme ? Adolphe, en toi nos
dissolvons nos noms et ceux de nos familles ! Crétins absurdes !
Qui, ici, quelque part sur la carte, serait assez modeste
pour associer l’absolu à un autre né du même monde ? Je t’aime, je t’aime,
scandaient leur totenkopf.
La pire des figures : la métonymie. Croire qu’en une
partie puisse résider le tout alors que le tout ne peut être qu’en tous, et
partout, de tout temps !
Et encore, nous, ne faisons là qu’un tout petit peu d’Histoire.
La Seconde guerre est là pour nous rappeler les barbaries que nous avons déjà
oubliées. Pour nous dire : « Voici des hommes qui, en tuant, ont
tenté de se séparer, avant d’échouer, et de laisser à tous les hommes du monde,
ce sentiment équitablement réparti de culpabilité. »
Leçon de l’empire écologique à venir : l’homme est né
pour fomenter sa future dictature. Point de salut pour la fourmi qui s’est
aventurée trop loin de sa fourmilière ! L’intérêt collectif et universel
primera toujours, et c’est pourquoi le Reich était un feu de camp pour
boy-scout énamourés.
Le pire est à venir, amis, car nous allons bientôt nous
rassembler. Délaisserons nos idiosyncrasies pour nous remettre à marcher d’un
même pas, comme au temps de Babel ? J’entends d’ici les arguments, les
prétextes pour revenir aux origines, et défendre cette planète qui se moque de
nous comme d’une guigne ? Nous ne sommes jamais que le petit thermomètre
d’enfant planté dans son cul !
L’avenir est le mot valise. Celui dans lequel empaqueter
nos sacrifices. La planète n’est pas le sujet, ce n’est qu’une des celles que
nos âmes oublieuses ont habitée. La race. La race.
La vraie.
L’unique.
Celle qui nous a tant vus massacrer l’animal, traquer la moindre
sous-espèce, exploiter sa viande. Dans le sang des bêtes se mire notre triste
triomphe. Nous, peuple élu, maudit par des dieux que nous avons bâtis.
Seuls ? Seuls.
Certes, mais nombreux.
Invariants. Le progrès n’a aucune incidence. Il glisse sur
notre marbre comme la pluie sur un ciré. Nous avons toujours été, et tels que
nous sommes. Des millions d’années ne sont pas parvenus à nous amenuiser. Oui
nous nous sommes un jour mis debout. Avons apprivoisé les espèces que nous
dévorions. Nous nous sommes mis à câliner. Bien plus tard, nous avons inventé
des crèches. L’enfance et l’amour. Ces petits tout purs ne sont pas vraiment
nous. Vraiment? Attendez un peu, vous verrez.
Ils grandissent et croissent, finiront par se relier. Leur
sexe est un pont rétractile, il sort et rentre selon les âges et le travail est
fait. Je prie pour qu’un jour une force encore plus grande mette fin à cette
démence. Et parce que je prie pour ma fin, je redeviens cet humain. Cette force
que nous voudrions nous surplomber, c’est de nous-mêmes que nous l’avons
extraite !
Icare, même fondu, rayonne encore ! Prométhée, c’est
nous qui l’avons enchaîné !
Chacun, à se mesure, commet son petit excès et se mesure au
monde. Il s’est fait des cercles d’amis
et vit dans un cube mais la géométrie n’est décidément pas sa tasse de thé. Il
ne fait rien que commettre ce pourquoi il est. Car il est, parmi toutes celles
qui sillonnent le vaste monde, sa propre frontière. L’amoralité de la liberté
le terrorise, et c’est pourquoi il se morfond, à rompre avec ses principes, à
bafouer ses premières amours, à risquer tout ce qu’il aime sur un pari perdu
d’avance. Si l’homme aime tant se détruire, et détruire ce qu’il chérit plus
que tout, c’est qu’il se sait foncièrement invincible. Et il sait que
l’être qu’il a aimé puis tué l’était tout autant car il survivra dans le monde
comme de la mauvaise herbe. Notre univers n’est pas fait que de vivants, il est
tissé de fantômes et de regrets volontaires. Notre sang est en partie figé. Il
avance, mais lourdement.
Il charrie le sang de celles et ceux que nous avons aimés
avant de les assassiner, c’est ce qui fait son incarnat, lui procure son poids.
Que vaut, à nos yeux, le sang toujours trop jeune d’un moustique
amnésique ?
L’homme vaut, parce qu’en lui se masse l’hémoglobine du
prochain qu’il a renié. On ne pourra jamais tuer un tueur : il est
plusieurs. Nous ne pourrons jamais qu’emprisonner un de ceux qu’il a été. C’est
une déception sans cesse renouvelée. Et, parfois, un regret de ne pas avoir
osé. On meurt d’avoir tué. Puis on renaît, mais mal. Partiellement. On débute
quelque chose qu’on ne finira pas.
On est déçu car la vie est courte : on aurait encore pu
davantage se perdre, s’oublier. On se déçoit, parce qu’on est ambitieux. Ce
n’est pas l’impact au sol qui compte, mais la longueur de la chute.