Cendrillon

Cendrillon
« Fallen princess, CINDER », 2017, © Dina Goldstein. Avec l'aimable autorisation de l'artiste.

dimanche 25 mai 2025

                         Vision de rêve : Ellie dansant à Gypsy's Acre, dans le film Endless Night de Sidney Gillat (1972).

                "UNE NUIT QUI NE FINIT PAS"

Chronique tordue du film Endless Night (Sidney Gilliat, 1972), à lire après avoir vu le film, disponible en blu-ray chez Studio Canal, dans la collection Make My Day de Jean-Baptiste Thoret.

Scénariste pour Hitchcock, écrivain et surtout producteur de films commerciaux, Gilliat adapte avec Endless Night un roman tardif et atypique de sa compatriote Agatha Christie. Si le giallo, genre latin dont le film qui nous occupe n'est pas si éloigné, ne cache pas sa prédilection pour Dix petits nègres, Sidney Gilliat, lui, préfère enfoncer le spectateur dans l'ambiguité plutôt que de lui proposer un abattage en règle des suspects.

Le suspect ici, c'est le film. Dès le début, il n'est qu'une histoire qu'on nous raconte. L'histoire racontée par un homme dont on ne voit que les pieds, à un autre dont on ne voit que les pieds, sur le gravier d'une allée. Allée qui pourrait bien appartenir à une institution psychiatrique : le jeune homme qui parle s'agite, s'embrouille et se reprend tandis qu'à l'écran des images floues (un vieil écriteau de bois que le Hugo des Contemplations aurait trouvé louche) surgissent puis s'évanouissent. Celle, aussi, d'une propriété nommée Gypsy's acre, avec vue imprenable sur la campagne et le psychisme anglais.

Tandis que s'envole la musique de Bernard Herrmann, accompagnant la vision de ce domaine fantasmé, ce n'est pas une Madeleine qui apparaît au narrateur, comme naguère Kim Novak à James Stewart, mais une autre blonde, vraie, vivante et folâtre celle-ci, une blonde qui danse. Ellie. Jeune fille gracile. Pourtant, un peu plus tôt, quand celle-ci s'était retournée vers notre narrateur, le visage de la blonde n'existait pas. L'apparition en était une. Nous entrons dans le film.

Le narrateur, Michael Rogers, le jeune homme en pied du début (Hywell Bennett), est actuellement chauffeur de limousine mais il change souvent de métiers. Il s'amuse à faire monter les enchères pour acquérir des tableaux auxquels il renonce juste à temps. Il dit "frissonner" devant les vitrines d'antiquaires. Un pauvre lads élégant, sensible à l'art et à la beauté, pour lequel sa mère s'inquiète.

C'est le récit de sa rencontre avec la belle Ellie (Hayleh Mills), héritière américaine, sixième ou seizième fortune du monde, que Michael entreprend.

Comment il s'est marié et bâti un rêve de cocagne grâce à un architecte célèbre étrangement nommé Santonix (le Suédois Per Oscarsson) : la demeure hyper contemporaine de Gypsy's Acre - autrement dit, la demeure de ceux qui n'en ont pas. Et comment tout ça était du vent. Une carte postale. Un fantasme de jeunes mâles qui n'ont rien. 

Comment, alors qu'il aurait pu tout avoir et vivre heureux avec Ellie - elle l'aimait -, il a préféré tout détruire, pour la beauté du geste. Glisser du cyanure dans sa gélule à la place de l'antihistaminique (la frêle Ellie était allergique au pollen). Le ver était dans la pomme. Le conte de fées et de sorcières a perverti ce qui aurait pu n'être qu'un film socialement irréaliste. 

La sorcière, le jeune chauffeur l'avait précédemment rencontrée dans un musée d'Amsterdam, devant un tableau de Rembrandt : il s'agissait de la gouvernante d'Ellie, la belle et dangereuse Greta (Britt Ekland, sirène déjà dans The Wicker man et Antigone dans Les Cannibales de Caviani, celle à travers qui la tragédie s'accomplit). C'est avec elle qu'il avait ourdi sa machination. Devenir veuf, tout ramasser. Avoir sa propre Rolls, se faire conduire.

Mais ça, le spectateur ne l'apprend qu'à la fin. La sorcière est toujours plus sexy que la fée, même les miroirs sont d'accord.

Quand se produit l'empoisonnement d'Ellie, Michael, qu'on avait pris jusqu'ici pour un romantique épris d'une milliardaire, est en train d'acheter, aux enchères, une oeuvre d'art. Une table qu'il veut lui offrir pour son anniversaire. Sauf que celle-ci ne vaut que quelques livres et qu'elle est en papier-mâché. Vraiment, un film étrange.

On y cite Hitchcock (il y a même le George Saunders de Rebecca), Joyce (Portrait de l'artiste en jeune homme) mais surtout William Blake, à qui Gilliat a emprunté le titre de son film : la nuit infinie de ceux qui choisissent le malheur du mal ("l'autre voie" que prédisait l'architecte Santonix) plutôt que le bonheur du bien. Forcément, quand la machination est découverte, quand une photo volée d'Amsterdam, où il figure bras dessus bras dessous avec la gouvernante Greta, leur est envoyée, il se saborde tout à fait et la tue. Plus précisément : il assomme sa Némésis avec une sculpture de chat moche - cadeau à Ellie de la part de Greta qui n'avait aucun goût, ou représentation de Bastet, le dieu égyptien du foyer - puis la noie ; ce n'est d'ailleurs pas la première fois que Michael noie.

On y lit Blake et on l'interprète aussi - c'était aussi un chansonnier. C'est l'innocente Ellie qui, près d'une harpe, le joue au piano et le chante tandis que Michael l'observe, émerveillé, déboussolé. Hommage du vice à la vertu. De la cupidité moderne à la beauté du vers ancien et à la douce harmonie conjugale.

Blake apparaît rarement au cinéma, encore plus rarement pour quelque chose.

On comprend alors pourquoi il y avait dans le rêve exaucé du jeune Michael, le chauffeur, le prolétaire, quelque chose d'étrange, de tordu - un vice caché, un twisted nerve. Pourquoi le palais de Gypsy's acre se fondait si peu dans le décor. Pourquoi une étrange Pythie se baladait sur le terrain et cherchait à avertir Ellie. Pourquoi un Michael ému l'avait embrassée avant de partir acheter son meuble en papier mâché et pourquoi son amour était un peu raide, un peu distant et abstrait, pourquoi ses yeux clairs étaient enfoncés dans un regard sombre. Mais, surtout, nous comprenons pourquoi jusqu'au bout, nous, spectateurs-lecteurs, n'y avons vu que du feu, qu'un conte de fée, non de faits : Michael aimait vraiment Ellie. Et c'est là toute l'ambiguité et la force du film.

Il haïssait vraiment Greta. Mais il voulait être avec Greta, comme Greta. Quelque chose en lui ne pouvait croire au bonheur. À ses yeux, malgré les sentiments nobles qu'elle lui inspirait, la joyeuse Ellie ne pouvait avoir de visage.

On retrouve, tout à la fin, le vieux écriteau kitsch en bois du début, dansant dans l'image : seul Dieu avait vu clair dans son jeu, et dans ce film terriblement retors. Seul Dieu l'avait vu. Le poème du chrétien Blake s'intitulait Auguries of Innocence, constituait une suite de paradoxes et de prophéties sur la vertu et sa corruption. Après tout, Endless Night n'est que la version borgne d'une histoire indécidable : une nuit reste une nuit. Dès l'incipit de son roman, Agatha Christie citait ce vers de Blake :

"En ma fin est mon commencement".

O.S.

Saint-Lager, le 25.05.25.

jeudi 22 mai 2025

 
SOURIS

         

            Les bruits ne manquaient pas dans ma vieille maison. Plusieurs sources étaient possibles : la charpente, des oiseaux nicheurs, le fantôme de ma fille, les grincements d’une tuyauterie engoncée dans d’épais murs de basalte et, évidemment, les souris. Selon les années, elles arrivaient avec parcimonie quand la température commençait de chuter, rongeant le cours de mon existence solitaire de leurs petites dents opiniâtres, disparaissant sans que je m’en aperçoive. À leur manière, malgré leurs déjections irritantes, elles étaient toujours restées discrètes. À l’époque, quelques tapettes avaient suffi à les dissuader de rentrer dans le rang et à me laisser tranquille. Tels les chats du voisinage, elles représentaient avant tout à mes yeux une entorse scandaleuse aux lois de la propriété, et devant les désastres minuscules de leur passage, j’éprouvais alors l’indignation résignée d’un hôte qui, le lendematin matin, nettoie seul en pestant les reliques de la bamboche de la veille. Mais cette année-là, le cours longtemps étale de ma vie avait été dévié par des courants puissants, et les souris, sur leur petit radeau, semblaient s'être engagées dans mon sillage.

Sur le conseil de ma compagne, peut-être celui de ma conscience, j’abandonnai les terribles tapettes – j’avais, déjà, par le passé, délaissé les pièges adhésifs, cruellement anodins – et adoptai les trappes en plastique : deux croquettes de chien dans le réservoir, la souris entre, fait basculer la porte derrière elle, la voilà coincée. Mais vivante. Plus présente et vivante qu’elle ne l’aurait jamais été. C’est ainsi qu’au retour de mes séjours plus ou moins prolongés chez la prêteuse de trappes, je décidai, en châtelain écoresponsable, de m’atteler au problème survenu depuis quelques semaines. À cinq reprises, par le passé, j’étais tombé au petit matin sur ces petits corps froids au museau brisé et aplati. Le spectacle de ces infimes victimes de notre long combat pour la survie ne m’avait inspiré qu’une pitié toute relative ; nous en étions tous au même point, même si ma compagne, plus sensible aux petites tragédies animalières qu’aux grands drames humains, pensait différemment, reportant sur les espèces inférieures toute l'innocence qu'elle négligeait sur le visage des Hommes. Toujours est-il que je m’en revins chez moi armé de ces deux boîtes en plastique transparent, au jaune quasi solaire : modestes allégories du respect de la vie - en général. Je les disposai sous l’évier, parmi les produits ménagers et les huiles & vinaigres divers ; n’ayant plus d’enfants en bas âge, c’était un pot-pourri que je pouvais me permettre. Je n’avais pas encore posé la dixième pièce de mon puzzle de 5000 pièces qu’un petit claquement sec et inoffensif retentit là-bas. 

Sous l’évier.

Celles et ceux qui ont eu la chance d'examiner de près ces rongeurs faussement familiers pourraient en témoigner : les souris constituent une espèce particulièrement mignonne. Là où leur cavalcade rase-murs et maudite peut susciter l'inquiétude, voire provoquer l’effroi, vues de face, nez à nez, leurs petites menottes ramenées sur leur joli museau, leur pelage doux et uni savent allumer dans le cœur le plus froid une tendresse spontanée. J’allai donc libérer ma petite captive au fond du jardin, agacé de savoir que mes semelles raméneraient une terre molle sur mon sol lavé de frais, fût-ce au prix d'une existence ; fier, néanmoins, d’avoir fait montre, à cette occasion, d’une abnégation qui me ressemblait assez peu. J’étais en effet de tempérament sanguin et, sur le retour, je pris conscience d’une triste vérité : je n’avais pas tué ses congénères parce qu’elles m’avaient pourri l’existence, mais uniquement par vengeance, voilà tout. Balançant leurs dépouilles par-dessus le muret, dans le champ d’à côté, j’avais ressenti la joie malsaine qu’on aurait eu à éconduire des témoins de Jehovah pressés d’apporter la bonne parole. Somme toute, j’avais, cette fois, fait preuve d’une certaine maîtrise de moi. J’avais, provisoirement, renoncé à la colère.

Du moins le croyais-je. 

Car, au bout du cinquième aller-retour, avec ma trappe solaire à chaque main, mon indulgence pour la classe des mammifères (dont j'étais) en avait pris un coup. Ce jour-là, alors que toutes ces souris en vie s’étaient soudain mises à occuper dans mon esprit une place à laquelle, mortes elles n’avaient pu prétendre, je croisai un ami dans les rayons du supermarché et lui confiai ma perplexité devant ce film horrifique inversé. Suffisamment proche pour me témoigner une attention sincère, il m’expliqua que la dizaine de spécimens que j’avais pu interpeller pouvait n'être que la « partie émergée de l’iceberg » et qu’en résumé, je n’étais pas au bout de mes peines. Quant à ces trappes, m’assura-t-il, aussi compatissantes fussent-elles, elles étaient rendues caduques par la facilité avec laquelle les prisonnières referaient le chemin retour... Outre le fait que le moindre passage, la moindre fissure, pouvaient faire de moi le point de convergence de milliers de petits rongeurs batifolant dans les parrages.

De retour devant mon PC, j'empoignai ma souris et apprit qu’au bout d’un coït de trois à cinq secondes – c’était donc cela, ces petits cris aigus qui avaient égayé mes cloisons en plâtre -, une femelle, dès l’âge de 45 jours, mettait bas 20 jours plus tard et offrait à l'humanité une portée de six souriceaux en moyenne, ce qui, chiffre d'autant plus ahurissant qu'il était mathématique, se traduisait par une potentialité de 25 000 nouveaux-nés par génération !

Ce chiffre abstrait ne fut rien comparé à mes 11 allers-retours suivants.
J’en attrapais à présent entre dix et quinze par jours, ce qui, à raison de trois croquettes par piège et ramené sur la balance électronique que j’utilisais pour peser les croquettes de mon carlin, qui commençait à tirer la gueule, équivalait environ à une demi-ration canine quotidienne... 

La légère appréhension que j’avais conçue au début en percevant le claquement sec sous l’évier avait laissé place à un morne stoïcisme et, étrangèrement, la colère, à une interrogation toute pragmatique : comment arrêter cette hémorragie bénigne et malséante ? On ne peut infliger de garrot à une si vieille demeure ! Le flux de l’existence peut s’agiter, changer violemment de lit, mais qu’il cesse un instant de s’écouler et aussitôt le barrage de castors se dresse, la nécrose menace et la gangrène survient, amputons le patient moribond ! Bien que "déménagement" fût un mot qui, depuis quelques mois, planait dans l’air printanier ainsi qu'un pollen allergène, je n’en restais pas moins, pour l’heure, le seul maître à bord de mon navire, même si celui-ci prenait sérieusement de la gîte. 

On m’avait lancé un nouveau défi ; je me devais d’y répondre.

Face à leur nombre, je n’étais qu’un ; mais, malgré ce qu’on veut bien raconter sur les rats, les corbeaux et les dauphins, j’appartenais quand même, de mon côté, à une espèce à peu près pleine de ressources. J’avais bien essayé de varier les modes de relâchage... Au bout du troisième aller-retour, qui remontait déjà à trois semaines, je ne m’étais plus contenté du fond du jardin, trop proche, ni du muret qui donnait sur le champ voisin, et m’étais mis à les balancer rudement côté parking, par-delà le mur haut d’une bonne dizaine de mètre qui me séparait du reste du village – au niveau des arbustes, afin d’amortir leur chute tout en me payant de ma peine. J’étais, il est vrai, également impressionné par la dextérité avec laquelle, quand j’ouvrais la trappe du bas et secouai leur boîte, elles se rattrapaient aux branches après un vol plané de plusieurs mètres et, comme le chat huant, filaient aussitôt, à peine sonnées et imperméables à la tétanie, mais galvanisées par leur liberté reconquise, jusqu’aux troncs, les descendant à la verticale avant de regagner la terre ferme.

Un soir, alors que je poursuivais mon puzzle de la Joconde dans la cuisine (à présent, le claquement sous l’évier m’arrachait à peine un soupir, je les laissai lambiner parfois plus d’une heure afin de les inciter à méditer sur le sens de leur misérable existence), mon carlin revint la mâchoire bleue : il mâchouillait un des marqueurs pour tableau que j’utilisai pour mes classes. Auparavant, cette vision indélébile m’aurait saisi, plongé dans l’effroi. Mais ce jour-là, je m’écriai tout haut : elle était sous mon nez, la solution !

Comme d’ordinaire, aussitôt levé, mon café bu, je relâchai les deux captives comme si de rien n’était et m’attelai aussitôt au nettoyage agacé des boîtes à trappes jonchées de crottes et de résidus de croquettes à moitié rongées (plusieurs, sans doute affamées, les finissaient une fois piégées). J’avais pu remarquer que certaines étaient plutôt longues et effilées, et d’autres dodues et ramassées sur elles-mêmes, presque rondes – mes préférées. 

Internet, cette fois, me laissa bredouille ; seul le fait de mesurer « la distance entre l’anus et l’appareil génital » de la souris grise domestique, de son vrai nom mus musculus, espèce absente, contre toute attente, d’une grande partie de l’Afrique, du Canada, de la Russie et de l’Amérique du sud, permettait de savoir différencier le mâle d’une femelle. L’autre méthode de « sexage » était réservée aux propriétaires de souris apprivoisées : deux petites zones sans poils, sous le cou, délimitaient les mammelles, invisibles à l’œil nu à l’instar des testicules des mâles juvéniles. Mais toutes possédaient un front. Là se trouvait, pour moi, la partie la plus intéressante.

Je laissai échapper la première. Esquivant la mine feutrée de mon marqueur bleu, elle se faufila dans l’étroit espace libre entre mon poignet et la boîte, et décampa sans demander son reste. Je ne parvins à mes fins qu’à la quatrième de la journée. Tout en tenant la boîte dans le vide, je la renversai d’un coup façon Orangina, puis profitai de la loi de Newton pour pointer le front de la petite incrédule, la flanquant au passage d’un beau bindi. Et, toutes proportions gardées, il y avait incontestablement quelque chose de mystique à ce résultat : non seulement étaient-elles marquées au fer tout en étant libérées, continuant ainsi d’appartenir à notre lieu commun d’habitation au-delà de ces dichotomies frustrantes que constituent la  vie et la mort, la liberté et la captivité, mais cette troisième voie, médiane, intermédiaire, signait enfin une première réussite contre la fatalité biologique de l’éternelle répétition du même. Une décision (ne pas tuer la souris) avait mené à une réflexion (comment s’en défaire ?) qui elle-même avait conduit à un acte (marquer la souris) ; que la méthode fît ou non ses preuves, le destin avait été infléchi. J’étais donc prêt à la défaite. La victoire serait un simple bonus.

Entretemps j’aurais acquis, dans les deux cas, une nouvelle connaissance : le nombre de souris dans mes murs était soit fini, soit infini. La fissure dans mes murs soit imagée, soit concrète - comme seul le vide peut l'être. 

Il fallut attendre plusieurs jours avant d’obtenir la réponse.

Une demi-douzaine de petits fronts agnostiques se succédèrent dans la joie et la bonne humeur. Jusqu’au n°7. 

Chiffre de la plénitude, célébré aussi bien par Blanche-Neige que par le Rig-Véda qui divise l’univers entre sept races humaines établies sur sept parties du monde. Chiffre de la chance, de l’harmonie et de l’introspection. Chiffre, enfin, de la sagesse : de l’union du monde matériel à celui des esprits.

Souris n°7 arborait le bindi.

Ému, je sortis et gagnai ma terrasse, celle qui donnait sur l’église. Je brandis le bras au-dessus du vide, juste à côté de la tonnelle qu’une vigne vierge envelopperait bientôt, près du montant fatidique où mon ex épouse et moi avions pu goûter à sa juste valeur l’amère potion de l’existence, et renversai la boîte en plastique. La souris hindoue chut puis se rattrapa, remonta la branche et rallia le tronc de l’arbuste. Je n’avais plus besoin de la suivre des yeux sur le parking. Je savais qu’elle retrouverait bientôt le chemin de ma maison et des prochaines croquettes. J’avais ma réponse. Ma forteresse était faillible. Ma forteresse l'avait toujours été.

Mais, de leur côté, ces mammifères menus avaient intégré les aléas d’un nouveau parcours, du nouveau saut d’obstacle qu’on leur avait infligé. Il n’y avait pas d’aller-retour, juste une circulation infinie d’énergies en perpétuelle mutation ; il aurait été idiot de prétendre y mettre un terme. J’esquissai un sourire, mon premier depuis longtemps, en regardant la nouvelle souris au bindi accomplir son vol plané, décelant même dans l’étirement de ses petits muscles bandés, dans la grâce modeste de sa chute, pas juste un soulagement ou de la persévérance, mais une étincelle de joie. Celle, sans doute invulnérable, que nous procure le goût du jeu.

 O.S.

 Saint-Lager, le 22.04.25.