G.P. Paul
Grand-père, montre combien tu vivais
À moi qui naquit à demi-mort un jour bicéphale
Comment tu as su enfanter tant, d'espoirs aussi,
Quand je n'ai fait que plonger mes propres fruits dans la désespérance
Et la noirceur du faux monde que pratiquent celles et ceux ne vivant qu'en-dedans
Grand-père, montre comment tu as aimé et bâti toutes ces choses
Au milieu d'autres qui, à mon image, n'en entassent que d'infimes
S'achète-t-il quelque part, ce blindage laissant passer les vents
Cette armure sensible qu'on destine aux autres plus qu'à soi
Où la trouver ? La voler ? Qui soudoyer ?
Tu as épousé la vie dans ses méandres, surmonté colère et déception
Ta vie est un oui quand je ne balbutie que la mauvaise réponse
Décidément, nous n'étions pas faits du même bois
Le tien s'est consumé neuf dizaines d'années, le mien fume en permanence
Sans réchauffer quiconque
Grand-père, largue des cieux en lesquels tu croyais
L'harmonie que mes enfers m'interdisent
À genoux, je n'enterre pas des hommes qui m'ont aimé
Ne puis sentir que le souffle de la faux sur mon cou lisse
Un uniforme me manquait : un béret, une écharpe eussent fait l'affaire
Mon insigne est la plus répandue ; c'est celle des néophytes, des exemptés
Qui pensent avoir fini la vie avant même l'avoir commencée
Grand-père, enseigne-moi cette divine gymnastique
Qui évite les balles et peut les encaisser, je veux à mon tour un jour tenir debout
Regarder droit dans les yeux les aberrations, les miennes, les leurs
Et leur annoncer par ta voix, dans un demi-sourire :
"Passez votre chemin et allez voir ailleurs, j'habite parmi les miens
Le logement que vous cherchez je ne l'ai jamais visité, j'ignorais même qu'il existât
Alors déguerpissez, spectres lâches, immondes pensées,
Mots verbeux, rimes fébriles, nombrils mal nettoyés
Je ne mange pas de ce pain-là.
Vous grondez, moi je fais.
Conspirez entre vous, laissez-moi en paix.
Au pire, rendez-vous chez l'Olivier sans rameau, c'est mon petit-fils, il vous connaît.
Il vous fréquente, il vous appartient. Il vit là-bas dans du papier."
Grand-père, montre la porte qu'on ouvre, non celles qu'on referme
Il est grand temps, et je veux ruer à mon tour, me battre et danser
De là où je suis constamment assis, je ne bougerai plus
Et les yeux levés, la bouche ouverte, attendrai béatement ton sermon clandestin
Tu me chaufferas les oreilles et enfin je t'entendrai.
O.S.
Saint-Lager, le 7.06.2024