Grand-père, montre-moi comment tu as vécu
Moi qui naquit à demi-mort un jour bicéphale
Comment tu as su enfanter autant, d'espoirs aussi
Quand je n'ai fait que plonger mes propres fruits dans la désespérance
Et la noirceur du faux monde que pratiquent celles et ceux qui ne vivent qu'au-dedans
Grand-père, montre-moi comment tu as aimé et fait ces grandes choses
Au milieu d'autres qui, à mon image, n'en produisaient que d'infimes
Existe-t-il quelque part ce blindage qui laisse passer les vents
Cette armure sensible qu'on destine aux autres plus qu'à soi-même
Où la trouver ? Où l'acheter ? Qui soudoyer ?
Tu as épousé la vie et ses méandres, surmonté la colère et la déception
Ta vie est un oui quand je ne peux que bégayer la mauvaise réponse
Non, décidément, nous ne sommes pas tous faits du même bois
Le tien s'est consumé neuf dizaines d'années, le mien fume en permanence
Sans parvenir à réchauffer quiconque
Grand-père, fais descendre des cieux en lesquels tu croyais
L'harmonie dont mes enfers me privent
À genoux, moi, je n'enterre pas des hommes qui m'ont aimé
Mais ne puis sentir que le souffle de la faux sur ma nuque nue
C'est un uniforme qui me manquait, un béret, une simple écharpe eût fait l'affaire
Mon insigne est la plus répandue ; c'est celles des néophytes, des exemptés
Qui pensent avoir fini la vie avant même l'avoir commencée
Grand-père, enseigne-moi cette divine gymnastique
Qui évite les balles et sait les encaisser, je veux à mon tour un jour tenir debout
Regarder droit dans les yeux les aberrations, les miennes, les leurs
Et leur dire par ta voix, dans un demi-sourire :
"Passez votre chemin et regardez ailleurs, j'habite parmi les miens
Le logement que vous cherchez je ne l'ai jamais visité, j'ignorais même qu'il existât
Alors déguerpissez, spectres lâches, immondes pensées,
Mots verbeux, rimes fébriles, nombrils mal nettoyés
Je ne mange pas de ce pain-là.
Vous grondez, moi je fais
Conspirez entre vous et fichez-moi la paix.
Au pire, rendez vous chez l'Olivier sans rameau, c'est mon petit-fils, il vous connaît.
Il vous fréquente, il vous appartient. Il vit là-bas dans du papier."
Grand-père, montre-moi la porte qu'on ouvre et pas celles qu'on referme
Il est grand temps, et je veux ruer à mon tour, me battre, darder et danser
De là où je suis constamment assis, je ne bougerai plus
Et les yeux levés et la bouche ouverte, j'attendrai béatement ton sermon clandestin
Tu me chaufferas les oreilles, et enfin je t'entendrai.
Saint-Lager, le 7.06.2024